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LE CYCLE INFERNAL(Suite)

 

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3 LES AGRESSIONS ALLEMANDES ET LES JESUITES

AUTRICHE - POLOGNE - TCHECOSLOVAQUIE YOUGOSLAVIE


Voyons comment l'Anschluss fut préparé :

Il faut se souvenir que, par un synchronisme vraiment « providentiel, alors que Mussolini s'emparait du pouvoir en Italie grâce à don Sturzo, Jésuite, chef du parti catholique, Mgr Seipel, Jésuite devenait chancelier d'Autriche. Il le demeura jusqu'en 1929, avec un interrègne de deux ans, et ce fut pendant ces années décisives qu'il engagea la politique intérieure autrichienne dans la voie réactionnaire et cléricale où ses successeurs le suivirent, et qui devait aboutir à la résorption du pays dans le bloc allemand. La répression sanglante des soulèvements ouvriers lui valut le sobriquet de « Keine Milde Kardinal» : le Cardinal Sans-Merci.

« Dès les premiers jours de mai (1936), von Papen entama le., pourparlers secrets en prenant le Dr Schussnigg (chancelier d'Autriche) par son point faible : il lui fit valoir les avantages d'une réconciliation avec Hitler, du point de vue des intérêts du Vatican. L'argument peut paraître fantaisiste, mais Schussnig était dévot et von Papen, chambellan du pape » (62).

 

Ce fut en effet -- on lie saurait s'en étonner - le camérier secret - chambellan qui mena toute l'affaire, laquelle aboutit, le 11 mars 1938, à la démission du pieux Schussnigg (élève des Jésuites) ait bénéfice de Seyss-Inquart, chef des nazis autrichiens. Le lendemain, les troupes allemandes franchissaient la frontière et le gouvernement fantoche de Seyss-Inquart proclamait la réunion de l'Autriche au Reich Evénement salué par une déclaration enthousiaste de l'archevêque de Vienne : le cardinal Innitzer (jésuite).

« Le 15 mars, la presse allemande publiait la déclaration suivante du cardinal Innitzer :

«Les prêtres et les fidèles doivent soutenir sans réserve l'Etat grand-allemand et le Führer, dont la latte pour la puissance, l'honneur et la prospérité de l'Allemagne répond aux vues de la Providence ». _

« L'original de cette déclaration était reproduit cil fac-similé dans ](,,;journaux., pour qu'il n'y ait pas de doute sur son authenticité La reproduction en était affichée sur les murs (le Vieillie et dans les autres villes d'Autriche, Le cardinal Innitzer avait fait précéder sa signature, (les mots suivants, écrits de sa main : « Und heil Hitler ! -

« Trois jours après paraissait une lettre pastorale, adressée par l'épiscopat autrichien tout entier à ses diocésains les journaux italiens en publièrent le texte le 28 mars c'était une plate adhésion au régime nazi et un hymne à sa gloire ». (63)

 

Le cardinal Innitzer le plus haut représentant de l'Eglise romaine en Autriche, écrivait même dans sa déclaration :

« J'invite les chefs des organisations de jeunesse à préparer leur union aux organisations du Reich allemand ». (64)

 

Ainsi, non seulement le cardinal-archevêque de Vienne, suivi de son épiscopat, se ralliait à Hitler avec un enthousiasme ostentatoire, mais encore il livrait les jeunesses « chrétiennes » au dressage conçu selon la doctrine nazie, laquelle demeurait « officiellement condamnée » par la « terrible » encyclique « Mil brennender Sorge » !

« Le Mercure de France » observait alors fort justement :

« ... Ces évêques n'ont pas pris d'eux-mêmes une décision qui engage l'Eglise tout entière, et c'est le Saint-Siège qui leur a dicté une ligne de conduite à laquelle ils n'ont fait que se conformer ». (65)

 

C'est l'évidence. Mais quelle autre « ligne de conduite » aurait-on pu attendre de ce Saint-Siège qui avait porté au pouvoir Mussolini, Hitler, Franco, et avait suscité en Belgique le « Christus-Rex » de Léon Degrelle ?

« On comprend, dès lors, les auteurs anglais F.A. Ridley, Secker et Warburg, qui reprochent à la politique de Pie XI d'avoir favorisé partout les mouvements fascistes ». (66)

 

En ce qui concerne l'Anschluss, M. François Charles-Roux nous dit pourquoi l'Eglise s'y montrait tellement favorable:

« C'était que peut-être huit millions de catholiques autrichiens, incorporés au groupe des catholiques du Reich, en feraient une masse catholique allemande mieux en mesure de faire sentir son poids ». (67)

 

La Pologne se trouvait dans le même cas que l'Autriche, quand Hitler, après l'avoir envahie, en annexa une partie au nom de Wartheland. Encore quelques millions de catholiques venant renforcer l'effectif allemand d'obédience romaine : le Saint-Siège ne pouvait voir cela que d'un bon oeil, malgré tout son amour pour ses « chers Polonais ». Et, de fait, il se garda bien de faire grise mine à ce regroupement - un peu brutal -- des catholiques en Europe centrale, selon le plan dit général des Jésuites Halke von Ledochowski.

 

Les thuriféraires patentés du Vatican ne cessent de répéter à leurs lecteurs que Pie XII a « protesté » contre l'agression dans l'encyclique « Summi Pontificatus ». Mais, en réalité, dans ce document amphigourique comme tous ceux de cette sorte, et qui ne comporte pas moins de 45 pages, on relève tout juste, vers la fin, une phrase à l'adresse de la Pologne écrasée par Hitler. Encore n'est-ce qu'une vague formule de compassion, avec le conseil aux Polonais de prier longuement la Sainte Vierge ! Le contraste est frappant, entre ces quelques mots de condoléance banale et les pages flatteuses consacrées à l'Italie (fasciste) et à l'exaltation du Traité du Latran, conclu par le Saint-Siège avec Mussolini, ce compère d'Hitler, qui, au moment même où le pape rédigeait son encyclique, avait lancé au monde comme un défi le scandaleux discours commençant par ces mots : « Liquidata la Polonia ! ».

Mais que risque-t-on à user de ces alibis dérisoires, quand on prêche des convertis ? Et d'ailleurs, parmi ceux-ci, combien peu se soucient de vérifier la référence.

Cependant, si l'on passe au comportement effectif du Vatican dans cette affaire, que voit-on ? On voit d'abord le nonce à Varsovie, Mgr Cortesi, pousser le gouvernement polonais à céder à Hitler sur tous les points : Dantzig, le « corridor », les territoires où vivent des minorités allemandes (68). Puis, une fois le coup fait, on voit encore le Saint-Père prêter ses bons offices à l'agresseur pour tenter de faire entériner par Paris et par Londres une large amputation de sa « chère Pologne ». (69)

 

A ceux qui seraient. surpris d'un tel comportement envers cette nation catholique entre toutes, il suffira de rappeler un précédent fameux : Après le premier partage de la Pologne en 1772, catastrophe où les intrigues des Jésuites eurent leur large part, le pape Clément XIV, écrivant à l'impératrice d'Autriche Marie-Thérèse, lui exprimait sa satisfaction en ces termes :

« L'invasion de la Pologne et son partage n'ont pas été seulement une chose politique, ils correspondent aussi à l'intérêt de la religion et il était nécessaire, pour le profit spirituel de l'Eglise, que la Cour de Vienne étendît sa domination en Pologne aussi loin que possible ».

 

Comme on le voit, rien de nouveau sous le soleil - surtout au Vatican. En 1939, il n'y avait pas un mot à changer à cette déclaration cynique, sauf que « le profit spirituel de l'Eglise » était, cette fois, de voir entrer quelques millions de Polonais catholiques dans le Grand Reich.

 

Et c'en est bien assez pour expliquer la parcimonie des condoléances papales dans « Summi Pontificatus ».

En Tchécoslovaquie, le Vatican devait faire encore mieux : il allait fournir à Hitler un de ses propres prélats, camérier secret, pour en faire le chef d'un Etat satellite du Reich.

 

L'« Anschluss » avait eu un profond retentissement en Europe. Désormais, c'était sur la République Tchécoslovaque que planait la menace hitlérienne, et l'on sentait venir la guerre. Mais au Vatican on ne semblait s'en soucier que fort peu. Ecoutons encore M. François Charles-Roux :

« Dès le milieu d'août, j'avais entrepris d'obtenir du pape qu'il parlât en faveur de la paix, - de la paix juste, s'entend... Mes premières démarches n'eurent pas de succès. Mais à partir du début de septembre 1938, c'est-à-dire du moment où la crise internationale atteignit son point culminant, je commençai à recueillir au Vatican des impressions lénifiantes qui contrastaient étrangement avec l'aggravation rapide du péril ». (70)

 

A toutes les démarches faites auprès de lui pour qu'il élevât la voix, Pie XI - nous dit l'ancien ambassadeur de France --- répondait invariablement :

«- Ce serait inutile, superflu, inopportun». Je n'arrivais pas à m'expliquer son obstination à se taire » (71)

 

L'explication de ce silence, les faits n'allaient pas tarder à la donner. Ce fut d'abord l'annexion par le Reich du territoire des Sudètes, avec l'appui du Parti Social-Chrétien, bien entendu ; annexion qui fut entérinée par l'accord de Munich. Ainsi fut amputée la République Tchécoslovaque. Mais Hitler, qui s'était engagé à en respecter désormais l'intégrité territoriale, comptait bien, en réalité, procéder à l'annexion des pays tchèques détachés de la Slovaquie et régner en outre sur celle-ci par personne interposée.

Il eut d'autant moins de peine à y parvenir que, comme le signale Walter Hagen, les principaux chefs politiques slovaques n'étaient pour la plupart que des ecclésiastiques catholiques (72), et parmi ceux-ci le prêtre Hlinka, (Jésuite), disposait d'une « garde » calquée sur le modèle des S.A. hitlériens.

 

On sait qu'aux termes du droit canon aucun prêtre lie peut accepter une charge publique ou un mandat politique sans en avoir reçu l'autorisation du Saint-Siège.

C'est ce que confirme, et explique d'ailleurs, le R.P. Jésuite de Soras :

« Comment en serait-il autrement ? Nous l'avons déjà dit, un prêtre en vertu du « caractère » dont son ordination l'a marqué, en vertu des fonctions officielles qu'il exerce au sein même de l'Eglise, en vertu de la soutane qu'il porte, agit forcément, au regard de l'opinion, en tant que catholique, du moins s'il s'agit d'action publique. Là où est le prêtre, là est l'Eglise ». (73)

 

C'était donc avec l'agrément du Vatican que des membres du clergé siégeaient au Parlement tchécoslovaque. A fortiori, l'un de ces prêtres eut besoin de l'approbation du Saint-Siège pour recevoir des mains du Führer, l'investiture en tant que chef d'Etat - et ensuite pour accepter les plus hautes distinctions hitlériennes : la Croix de Fer et le Grand cordon de l'Aigle Noir

 

Comme prévu, le 15 mars 1939, Hitler annexait le reste de la Bohême et de la Moravie et prenait « sous sa protection » la République Slovaque, créée par lui d'un trait de plume. A sa tête il plaça Mgr Tiso (Jésuite), « qui rêvait de combiner le catholicisme et le nazisme ».

Noble ambition, et facile à réaliser en somme, comme l'avaient déjà prouvé les épiscopats allemand et autrichien.

Le catholicisme et le nazisme, proclamait Mgr Tiso, ont beaucoup de points communs et ils oeuvrent la main dans la main pour réformer le monde ». (74)

Tel devait être aussi l'avis du Vatican, puisque - malgré la « terrible » encyclique « Mit brennender Sorge » - il ne marchandait pas son approbation au prélat-gauleiter :

« En juin 1940, la Radio vaticane annonça : « La déclaration de Mgr Tiso, chef de l'Etat slovaque, affirmant son intention d'édifier la Slovaquie selon un plan chrétien, est très appréciée du Saint-Siège ». (75)

« Le temps du régime Tiso, en Slovaquie, fut particulièrement pénible pour l'Eglise protestante du pays, qui ne représente que le cinquième de la population. .Mgr Tiso cherchait à réduire l'influence protestante au minimum et même à l'éliminer. Des éléments influents de l'Eglise protestante furent envoyés dans des camps de concentration ». (76)

 

Encore ces déportés devaient-ils s'estimer heureux en effet, comme l'a déclaré le général des Jésuites Wernz, Prussien (1906-1915) :

« L'Eglise peut condamner des hérétiques à la mort, car ils n'ont de droits que par tolérance ».

 

Voyons maintenant avec quelle mansuétude apostolique le prélat-gauleiter traitait les enfants d'Israël :

« En 1941, à Auschwitz, le premier contingent de Juifs arrive de Slovaquie et de Haute-Silésie, et dès le début ceux qui ne sont pas capables de travailler sont passés à la chambre à gaz dans une des pièces du bâtiment abritant les fours crématoires ». (77)

Qui écrit cela ? Un témoin que l'on ne saurait récuser, Lord Bertrand Russell of Liverpool, qui fut conseiller juridique dans les procès des criminels de guerre.

Ainsi, ce n'était pas en vain que le Saint-Siège avait « prêté » un de ses prélats à Hitler. Le Jésuite chef d'Etat faisait de la bonne besogne et l'on comprend la satisfaction qu'exprimait la Radio vaticane. Avoir été le premier pourvoyeur d'Auschwitz, quelle gloire pour ce saint homme et pour la Compagnie des Jésuites tout entière !

Au reste, il ne manqua rien à ce triomphe. Livré par les Américains à la Tchécoslovaquie, à la Libération, le prélat-gauleiter fut condamné à mort en 1946 et, pendu haut et court.

C'était la palme du martyre.

« Tout ce que nous faisons contre les Juifs, nous le faisons par amour de notre nation.

« L'amour du prochain et l'amour de la patrie se sont développés en un combat fécond contre les ennemis du nazisme ». (78)

 

Cette déclaration de Mgr Tiso, un autre haut dignitaire de l'Eglise romaine aurait pu la reprendre à son compte, dans un pays voisin. Car si la « Cité de Dieu » slovaque eut pour bases la haine et la persécution, selon la tradition constante de I'Eglise, que dire de l'Etat éminemment catholique de Croatie, fruit de la collaboration du tueur Paveliteh et de Mgr Stepinac, assisté du légat pontifical Marcone !

Il faudrait remonter à la conquête du Nouveau Monde par l'action conjuguée des aventuriers de Cortès et des moines convertisseurs non moins féroces qu'eux, pour trouver quelque chose de comparable aux atrocités des Oustachis, que soutenaient, commandaient excitaient des religieux d'un fanatisme démentiel. Car ce que firent pendant quatre ans ces Assassins au nom de Dieu comme les a si bien nommés M. Hervé Laurière, défie toute imagination, et les annales de l'Eglise romaine, si riches pourtant en pareille matière, n'en offrent pas, en Europe, l'équivalent.

 

Est-il besoin d'ajouter que le compère du sanglant Ante Paveliteh, Mgr Stepinac, était, lui aussi, un Jésuite en service détaché ?

L'organisation terroriste croate des Oustachis, dirigée par Pavelitch, avait été révélée aux Français par l'assassinat commis à Marseille, en 1934, du roi Alexandre 1er de Yougoslavie et de notre ministre des Affaires étrangères, Louis Barthou. « Le gouvernement de Mussolini étant notoirement compromis avec les instigateurs du crime » (79), l'extradition de Pavelitch, réfugié en Italie, fut demandée par le gouvernement français mais le Duce se garda bien de l'accorder, et ce fut par contumace que le chef oustachi fut condamné à mort par la Cour d'assises d'Aix-en-Provence.

 

Ce chef de bandes, stipendié par Mussolini, « travaillait » en faveur de l'expansion italienne sur la côte adriatique. Aussi, lorsque, en 1941, Hitler et Mussolini eurent envahi et démembré la Yougoslavie, ce prétendu patriote croate fut mis par eux à la tête de l'Etat satellite qu'ils créèrent sous le nom d'« Etat indépendant de Croatie ». Et le 18 mai de cette même année, à Rome, Pavelitch offrait la couronne de cet Etat au duc de Spolète, qui prit le nom de Tomislav II. D'ailleurs, celui-ci se garda de jamais mettre le pied sur le sol ensanglanté de son pseudo-royaume.

« Le même jour, Pie XII accordait une audience privée à Paveliteh et à sa suite, parmi laquelle figurait Mgr Salis-Sewis, vicaire général de Mgr Stepinac.

« Ainsi, le Saint-Siège ne craignait pas de serrer la main à un assassin avéré, condamné à mort par contumace pour le meurtre du roi Alexandre 1er et de Louis Barthou, à un chef de bandes chargé des plus horribles crimes. En effet, le 18 mai 1941, quand Pie XII recevait avec honneur Paveliteh et sa séquelle de tueurs, le massacre des orthodoxes battait déjà son plein en Croatie, concurremment avec les conversions forcées au catholicisme » (79 bis).

 

C'était la minorité serbe de la population qui se trouvait visée, comme l'explique l'écrivain Walter Hagen :

« Au bout de peu de temps, le pays ne fut plus, grâce aux Oustachis, qu'un sanglant chaos... La haine mortelle des nouveaux maîtres se dirigea contre les Juifs et contre les Serbes qui furent mis, pour ainsi dire, officiellement hors la loi... Des villages entiers, voire des contrées entières, furent systématiquement exterminés... Comme la vieille tradition voulait que la Croatie et la foi catholique d'une part, la Serbie et la confession orthodoxe d'autre part, fussent synonymes, on commença à obliger les orthodoxes à entrer dans l'Eglise catholique. Ces conversions obligatoires constituaient justement l'achèvement même de la croatisation. » (80)

 

Andrija Artukovic, ministre de l'Intérieur, était le grand organisateur de ces massacres et de ces conversions forcées, mais, ce faisant, il ne manquait pas de se couvrir « moralement », aux dires d'un témoin bien placé.

En effet, le gouvernement yougoslave ayant demandé son extradition des Etats-Unis, où il s'est réfugié, une voix s'est élevée en sa faveur, celle du R.P. jésuite Lackovic, résidant aussi aux Etats-Unis, et qui fut pendant la dernière guerre le propre secrétaire de Mgr Stepinac, archevêque de Zagreb.

« Artukovic, affirme le R.P. Jésuite, était le porte-parole laïque de Mgr Stepinac. Pas un jour ne se passa entre 1941 et 1945 sans que je sois dans son bureau et lui dans le mien. Il consultait l'archevêque sur l'aspect moral de toutes les actions qu'il entreprenait. » (81)

 

Quand on pense à ce qu'étaient les « actions » de ce bourreau, on ne peut qu'être édifié par la caution « morale » que leur accordait Mgr Stepinac.

Massacres et conversions allaient se poursuivre jusqu'à la Libération, sans que jamais la bienveillance du Saint-Père à l'égard des tueurs se soit jamais démentie.

Il faut lire, dans les journaux catholiques croates de l'époque, ces échanges d'aménités entre Pie XII et Pavelitch, le « Poglavnik », auquel Mgr Saric, Jésuite, archevêque de Sarajevo et poète à ses heures, consacrait des vers empreints d'une adoration délirante.

 

Ce n'était là, d'ailleurs, qu'échange de bons procédés.:

« Mgr Stepinac devient membre du Parlement oustachi (82). Il porte des décorations oustachies, il assiste à toutes les grandes manifestations officielles oustachies, au cours desquelles il prononce même des discours...

« Faut-il donc s'étonner que l'Etat satellite croate ait eu de la déférence pour Mgr Stepinac ? Que la presse oustachie ait clamé les louanges de Mgr Stepinac ? Il est, hélas ! trop évident que sans l'appui de Mgr Stepinac, sur le plan religieux et politique, Ante Pavelitch n'eût jamais obtenu à un tel degré la collaboration des catholiques en Croatie. » (83)

 

Pour mesurer jusqu'où alla cette collaboration, il n'est tel que de lire la presse catholique croate, le « Katolicki Tjednik », le « Katolick List », le « Hrvatski Narod », et tant d'autres organes qui rivalisaient de plate adulation pour le sanglant « Poglavnik », dont Pie XII se félicitait qu'il fût un « catholique pratiquant ». La haute estime du Souverain Pontife s'étendait même aux acolytes du grand homme.

« L'Osservatore Romano » nous apprend que, le 22 juillet 1941, le pape a reçu cent agents de la police de sécurité croate, conduits par le chef de la police de Zagreb, Eugen Kvaternik-Dido. Ce groupe de SS croates constituait la fleur des bourreaux et des tortionnaires qui opéraient dans les camps de concentration, et celui qui les présentait au Saint-Père se rendit coupable de telles horreurs que sa mère se suicida de désespoir.

 

La bienveillance de S. S. Pie XII s'explique assez, du reste, si l'on pense au zèle apostolique de ces tueurs. Ecoutons un autre « catholique pratiquant », Mile Budak, ministre des Cultes, s'écriant, en août 1941, à Karlovac .

« Le mouvement oustachi est basé sur la religion. Sur notre fidélité à la religion et à l'Eglise catholique repose toute notre action. » (84)

 

D'ailleurs, le 22 juillet, à Gospic, le même ministre des Cultes avait parfaitement défini cette action :

« Nous tuerons une partie des Serbes, nous en déporterons une autre, et le reste sera obligé d'embrasser la religion catholique romaine. » (85)

 

Ce beau programme fut exécuté à la lettre. Quand cette tragédie prit fin, à la Libération, on comptait 300.000 Serbes et Juifs déportés et plus de 500.000 massacrés. Moyennant quoi, l'Eglise romaine avait ramené dans son sein 240.000 orthodoxes... qui, d'ailleurs, se hâtèrent de revenir à la confession de leurs ancêtres lorsque la liberté leur fut rendue.

Mais pour obtenir ce dérisoire résultat, quel déchaînement d'horreurs s'abattit sur ce malheureux pays ! Il faut lire dans le terrible ouvrage de M. Hervé Laurière, « Assassins au nom de Dieu », le détail des monstrueuses tortures que ces « catholiques pratiquants », qu'étaient les Oustachis, infligeaient à leurs malheureuses victimes.

 

Comme l'écrivait le journaliste anglais J.A. Voigt:

« La politique croate consistait en massacres, déportation ou conversion. Le nombre de ceux qui ont été massacrés s'élève à des centaines de milliers.

« Les massacres ont été accompagnés par les tortures les plus bestiales. Les Oustachis crevaient les yeux de leurs victimes et les portaient en guirlandes ou dans les sacs pour les envoyer en souvenir. » (86)

« En Croatie, ce furent les Jésuites qui implantèrent le cléricalisme politique. » (87)

 

C'est le cadeau que la célèbre Compagnie offre invariablement aux peuples qui ont le malheur de l'accueillir. Le même auteur ajoute :

« Avec la mort du grand tribun croate, Raditch, la Croatie perd son principal opposant au cléricalisme politique qui épousera la mission de l'action catholique définie par Friedrich Muckermann. Ce Jésuite allemand, bien connu avant l'avènement de Hitler, la fit Connaître en 1928 dans un livre dont Mgr Pacelli, à cette époque nonce apostolique à Berlin, avait écrit la préface. Muckermann s'exprimait ainsi : « Le Pape appelle à la nouvelle croisade d'Action catholique. Il est le guide qui porte le drapeau du Royaume du Christ... L'Action catholique signifie le rassemblement du catholicisme mondial. Elle doit vivre son temps héroïque... la nouvelle époque peut être acquise seulement au prix du sang pour le Christ. » (88)

 

Dix ans après que cela fut écrit, le préfacier du Père jésuite Muckermann montait sur le trône de Saint-Pierre, et durant son pontificat « le sang pour le Christ » ruissela littéralement sur l'Europe, mais nulle part la « nouvelle époque » ne fut marquée de drames plus atroces qu'en Croatie.

Là, non seulement des prêtres, du haut de la chaire, prêchaient la tuerie à outrance, mais encore certains marchaient à la tête des égorgeurs. On en vit qui cumulèrent leur ministère sacré avec les fonctions officielles de préfets ou de chefs de police oustachis, voire de chefs de ces camps de concentration qui ne le cédaient en horreur ni à Dachau, ni à Auschwitz.

A ce palmarès de sang s'inscrivent les noms de l'abbé Bozidar Bralo, du curé Dragutin Kamber, du Jésuite Lackovic et de l'abbé Yvan Saliteh, secrétaires de Mgr Stepinac, du prêtre Nicolas Bilogrivic, etc.... et d'innombrables franciscains dont le plus tristement fameux fut le Frère Miroslav Filipovitch, grand organisateur de massacres, qui fit fonction à la fois de chef et de bourreau dans le camp de concentration de Jasenovac, le plus affreux de ces enfers terrestres.

Le Frère Filipoviteh eut le même sort que Mgr Tiso en Slovaquie : il fut pendu en soutane à la Libération. Cependant, nombre de ses émules, peu soucieux de gagner la palme du martyre, s'enfuyaient vers l'Autriche, pêle-mêle avec les assassins qu'ils avaient si bien secondés.

Mais que faisait donc la « hiérarchie » devant la frénésie sanguinaire de tant de ses subordonnés ?

La « hiérarchie », c'est-à-dire l'épiscopat et son chef de file, Mgr Stepinac, votait au Parlement oustachi les décrets de conversion des orthodoxes au catholicisme, envoyait des « missionnaires » chez les paysans terrorisés, convertissait sans sourciller des villages entiers (89), prenait possession des biens de l'Eglise serbe orthodoxe, enfin encensait et bénissait sans relâche le Poglavnik, suivant en cela le haut exemple de Pie XII.

 

S.S. Pie XII était d'ailleurs représentée en personne à Zagreb par un moine éminent, le R.P. Marcone. Ce « Sancti Sedis Legatus » assistait, à la place d'honneur, à toutes les cérémonies du régime oustachi et se faisait même benoîtement photographier chez le chef des tueurs - Pavelitch - au milieu de sa famille, qui le recevait en ami. « Dis-moi qui tu hantes, je te dirai qui tu es ».

 

Ainsi, la plus franche cordialité ne cessa de régner dans les rapports entre les assassins et les ecclésiastiques - nombre de ces derniers, d'ailleurs, cumulant les deux qualités. Et il va sans dire qu'aucun blâme ne leur fut jamais infligé pour cela. « Qui veut la fin veut les moyens ».

 

Quand Paveliteh et sa colonne de 4.000 Oustachis - dont l'archevêque Saric, Jésuite, l'évêque Garic et 400 religieux - quittèrent le théâtre de leurs exploits pour passer en Autriche, puis en Italie, ils laissèrent derrière eux une partie de leur « trésor » : les films, les photographies, les discours enregistrés de Ante Pavelitch, et des caisses pleines de bijoux, de pièces d'or, de débris d'appareils dentaires en or et en platine, de montres. de bracelets, d'alliances. Ces dépouilles des malheureux assassinés furent cachées au palais archiépiscopal où on les retrouva par la suite.

 

Quant aux fuyards, ils eurent recours à la « Commission pontificale d'Assistance », créée tout exprès pour sauver les criminels de guerre. Cette institution charitable les cacha dans les couvents, principalement en Autriche et en Italie, et les chefs furent munis par ses soins de faux passeports qui leur permirent de passer dans des pays « amis » où ils purent jouir en paix du fruit de leurs rapines. Ainsi en fut-il pour Ante Pavelitch, dont la présence en Argentine a été révélée, en 1957, par un attentat au cours duquel il fut blessé.

 

Depuis, le régime dictatorial s'est effondré à Buenos-Ayres. Comme l'ex-président Péron lui-même, son protégé dut quitter l'Argentine. Du Paraguay où il était passé d'abord, il gagna l'Espagne, et c'est à l'hôpital allemand (le Madrid qu'il est mort, le 28 décembre 1959. La presse française a rappelé à cette occasion sa sanglante carrière et - plus discrètement - les « complicités puissantes » qui lui permirent d'échapper au châtiment.

 

Sous le titre : « Belgrade avait réclamé en vain son extradition », on a pu lire dans le « Monde » :

« La brève information publiée ce matin dans la presse a ranimé chez les Yougoslaves les souvenirs d'un passé de souffrances et l'amertume contre ceux qui, en dissimulant Ante Pavelitch pendant près de quinze ans, ont empêché la justice de suivre son cours ». (90)

« Paris-Presse » désigne le dernier asile offert au terroriste par cette brève, mais significative phrase :

« Il échoue dans un couvent franciscain de Madrid ». (91)

 

C'est de là, en effet, que Pavelitch fut transporté à l'hôpital où il allait payer sa dette à la nature - et non à la justice, bafouée par ces « complicités puissantes » qu'il est aisé d'identifier.

Mgr Stepinac, qui avait, disait-il, « la conscience tranquille », restait à Zagreb, où il passa en jugement en 1946. Condamné aux travaux forcés, il fut seulement, en fait, assigné à résidence dans son village natal. La pénitence était douce, on le voit, mais l'Eglise a besoin de martyrs. L'archevêque de Zagreb a donc été placé, de son vivant, dans la sainte cohorte, et Pie XII s'empressa de l'élever à la dignité de cardinal pour « son apostolat qui brille de l'éclat le plus pur ».

 

On connaît le sens symbolique de la pourpre cardinalice : celui qui en est revêtu doit être prêt à confesser sa Foi « usque ad sanguinis effusionem » : jusqu'à l'effusion de sang. On ne peut nier, en effet, que cette effusion n'ait été abondante en Croatie, durant l'apostolat de ce saint homme, mais le sang qui y fut répandu par torrents n'était pas celui du prélat : c'était celui des orthodoxes et des Juifs. Faut-il voir là une «réversibilité des mérites » ?

En ce cas, les titres au cardinalat de Mgr Stepinac ne sont pas contestables. Dans le diocèse de Gornji Karlovac, dépendant de son archevêché, sur les 460.000 orthodoxes qui y vivaient, 50 MO purent se réfugier dans les montagnes, 50000 furent expédiés en Serbie, 40000 convertis au catholicisme par la terreur et 280 000 massacrés » (92).

 

Aussi pouvait-on lire, le 19 décembre 1958, dans » La France catholique » :

« Pour exalter la grandeur et l'héroïsme de S. Em. le cardinal Stepinac, une grande réunion aura lieu le 21 décembre 1958, à 16 heures, dans la Crypte de Sainte-Odile, 2, avenue Stéphane-Mallarmé, Paris 17e. Elle sera présidée par Son Em. le cardinal Feltin, archevêque de Paris. Le sénateur Ernest Pezet et le Révérend Père Dragoun, recteur national de la Mission Croate en France, prendront la parole. Son Excellence Mgr Rupp célèbrera une messe de communion. »

C'est ainsi qu'une nouvelle figure, et non des moindres, celle du cardinal Stepinac, est encore venue enrichir la galerie des Grands Jésuites.

Cette réunion du 21 décembre 1958, dans la Crypte de Sainte-Odile, avait pour objet, entre autres, de « lancer » un ouvrage composé à la défense de l'archevêque (le Zagreb par le R.P. Dragoun lui-même, et préfacé par Mgr Rupp, coadjuteur du cardinal Feltin. Nous ne pouvons en faire ici la complète analyse, du moins allons-nous en dire quelques mots.

Le livre s'intitule : « Le Dossier du cardinal Stepinac », ce qui semble promettre au lecteur une exposition objective du procès de Zagreb. Or, on trouve bien dans ce volume de 285 pages les plaidoiries inextenso des deux avocats de l'archevêque, assorties d'abondants commentaires de l'auteur, mais ni l'acte d'accusation ni le réquisitoire n'y figurent, même en abrégé.

 

Le R.P. Dragoun semble ignorer le proverbe français . « Qui n'entend qu'une cloche n'entend qu'un son » - à moins qu'il ne le connaisse trop bien, au contraire.

Quoi qu'il en soit, cet effacement systématique de la contradiction suffirait, à lui seul, à clore le débat.

Voyons pourtant les bonnes raisons invoquées à la décharge de l'archevêque de Zagreb.

Mais d'abord, une question se pose : Mgr Stepinac était-il vraiment métropolite de Croatie et de Slavonie ? Ce n'est pas le livre du R.P. Dragoun qui nous éclairera sur ce point. On y lit en effet à la page 142, à propos de la copie d'un rapport de Mgr Stepinac. dont la défense conteste l'authenticité :

« Dans le texte de la copie on désigne l'archevêque comme « Metropolita Croatiae et Slavoniae », mais l'archevêque n'est pas un métropolite et il ne s'est nulle part présenté comme tel ».

 

Voilà qui serait net, si on ne lisait à la page 114, dans les propres déclarations de Mgr Stepinac devant le tribunal :

« Le Saint-Siège a souvent souligné que les petites nations et les minorités nationales ont droit à la liberté. Et moi comme évêque et métropolite, je n'aurais pas eu le droit d'en parler ? » Comprenne qui pourra...

 

N'importe ! à ce qu'on nous assure, Mg Stepinac ne pouvait rien, absolument rien, sur le comportement de ses ouailles et de son clergé.

Argue-t-on des articles de la presse catholique, célébrant les hauts faits de Paveliteh et de ses sicaires ? Voici la réponse :

« Il est simplement ridicule de déclarer Mgr Stepinac responsable de ce que pouvait écrire un journal »

Même quand ce journal était le « Katolicki List », le plus grand organe catholique de Zagreb, diocèse de Mgr Stepinac !

 

Ne parlons pas non plus, dans ces conditions, de l' « Andjeo Cuvar » (L'Ange gardien), appartenant aux Franciscains, du « Glasnik Su. Ante » (La voix de Saint-Antoine) aux conventuels du « Katolicki Tjednik » (L'hebdomadaire catholique) de Sarajevo, à l'évêque Saritch ni, bien sûr, du « Vjesnik Pocasne Straze Srca Isusova » (Le Journal de la Garde d'honneur du Coeur (le Jésus (!), organe des Jésuites).

Sur toute cette presse, (dont il était le président rivalisant de plates adulations à l'adresse de Paveliteh et de son régime de sang. Mgr Stepinac, « métropolite contesté » - on commence à comprendre pourquoi il n'avait aucune influence, nous dit-on.

Il n'en avait pas davantage sur les évêques oustachis Surie, Garic, Aksamovic, Simrak, etc, qui encensaient le Poglavnik et applaudissaient à ses crimes.

 

Il n'en avait pas non plus sur les « Croisés » de l'Action catholique, ces auxiliaires des convertisseurs oustachis, ni sur les Franciscains égorgeurs, ni sur les religieuses de Zagreb qui défilaient, la main levée à l'hitlérienne.

Etrange « hiérarchie », qui n'avait autorité sur rien ni sur personne !

D'avoir siégé dans le Parlement oustachi, le « Sabor », en compagnie de dix autres prêtres catholiques, ne compromet pas davantage l'archevêque - ou, du moins, il faut le supposer, puisque ce fait est passé sous silence.

On ne saurait lui reprocher non plus d'avoir présidé les Conférences épiscopales et même le Comité pour l'application du Décret sur la conversion des orthodoxes. Il va sans dire que, dans cette apologie, le prétexte « humanitaire », pour avoir fait entrer dans l'Eglise romaine tant de rebaptisés par force, est largement développé - sinon habilement. Nous lisons, à propos de « l'affreux dilemme » devant lequel se trouvait Mgr Stepinac : « Son devoir pastoral était de maintenir intacts les principes canoniques, mais, d'autre part, on massacrait les dissidents qui ne se convertissaient pas au catholicisme. Il atténua alors la rigueur des règles ».

 

Or, deux lignes plus bas, on lit avec un certain effarement :

« Cette dramatique alternative, il tenta de la résoudre par la circulaire du 2 mars 1942, dans laquelle il ordonnait aux curés de passer au crible les motifs de conversion ».

 

Voilà une singulière façon d« atténuer la rigueur des règles» et de résoudre la « dramatique alternative »

Mgr Stepinac ouvrait-il ou fermait-il les portes de l'Eglise romaine aux faux convertis ? Il serait bien impossible de le savoir, si l'on s'en tenait à ce plaidoyer. Pourtant, les apologistes de l'archevêque semblent opter pour la fermeture, quand ils déclarent :

« ... Les cas de rebaptême furent très rares dans le « territoire de l'archidiocèse de Zagreb (92 bis).

Malheureusement, les statistiques disent tout autre chose. Nous l'avons signalé plus haut :

« ... Dans le seul diocèse de Gornji Karlovac, dépendant de l'archevêché de Zagreb, on compta 40.000 rebaptisés >.;

 

Ces résultats, évidemment, ne pouvaient être obtenus que par des conversions massives de villages entiers, comme Karnensko, dans ce même archidiocèse de Mgr Stepinac, où nous avons vu 400 brebis égarées rentrer le même jour au bercail de l'Eglise romaine, de façon « spontanée et sans aucune pression des autorités civiles et ecclésiastiques ».

Mais pourquoi dissimuler ces chiffres ? On devrait s'en faire gloire, plutôt, s'ils étaient vraiment dus aux « sentiments de charité » du clergé catholique croate, et non à l'exploitation cynique de la terreur.

 

En vérité, il n'est pas seulement transparent, il est bien court aussi le voile qu'on essaie de jeter sur ces hontes. Pour couvrir Stepinac, il faut découvrir les évêques Saric, Garic, Simrak, les prêtres Bilogrivic, Kamber, Bralo et consorts, - il faut découvrir les Franciscains et les Jésuites, et, finalement le Saint-Siège.

Laissons à sa « bonne conscience » cet invraisemblable archevêque, ce primat de Croatie censément démuni de toute autorité, qui se disait métropolite sans l'être, à ce qu'on nous assure, et, pour comble de paradoxe, ouvrait les portes en les fermant. Mais à côté de ce fantastique prélat, il y en avait un autre, bien consistant celui-là et même corpulent, le R.P. Marcone, le représentant personnel de Pie XII.

Ce «Sancti Sedis legatus» était-il lui aussi dépourvu de toute autorité sur le clergé croate ? Mystère! Car le « dossier » si bien expurgé ne fait pas la moindre mention de ce haut personnage, et l'on pourrait ignorer jusqu'à son existence, si l'on n'était pas mieux informé par ailleurs, notamment par certaines photographies qui le représentent officiant à la cathédrale de Zagreb, trônant au milieu de l'état-major oustachi, et, surtout, déjeunant en famille chez Pavelitch, le catholique « pratiquant » qui organisait les massacres !

 

Devant un pareil document, on ne s'étonne plus du black-out fait sur la présence de ce représentant du pape : pour parler comme les mystiques, c'est une « ténèbre éclairante ». Mais plus éclairantes encore sont ces quelques lignes du « dossier » :

« Le procureur lui-même, dans son acte d'accusation, cite le Secrétaire d'Etat du Saint-Siège, le cardinal Maglione, qui avait encore en 1942 recommandé à l'archevêque Stepinac d'établir avec les autorités oustachistes des rapports plus cordiaux et plus sincères » (92 ter).

Que lui fallait-il donc ? Du moins, on ne peut plus ergoter désormais.

La collusion entre le Vatican et les Oustachis massacreurs apparaît ici noir sur blanc. C'était le Saint-Siège lui-même qui poussait Mgr Stepinac à collaborer avec eux, et le représentant personnel de Pie XII, en s'attablant familièrement chez Paveliteh, ne faisait qu'appliquer à la lettre la consigne pontificale : sincérité, cordialité dans les rapports avec les bourreaux d'orthodoxes et de juifs.

Cela n'a rien qui nous surprenne.

 

Mais qu'en pensent les RR. PP. jésuites, eux qui s'obstinent à soutenir que l'invariable concours apporté aux dictateurs par les prélats de Sa Sainteté provenait d'une « option » toute personnelle, où le Vatican n'avait aucune part ?

Quand le cardinal Maglione envoyait à l'archevêque de Zagreb les recommandations ci-dessus, était-ce son « option personnelle » qu'il exprimait, sous le sceau de la Secrétairerie d'Etat ?

Nous croyions avoir mis un point final à ce chapitre en rapportant la preuve de la connivence entre le Saint-Siège et les Oustachis fournie par le R-P. Dragoun.

Mais voici une confirmation nouvelle des sentiments évangéliques qui fleurissaient et fleurissent encore, chez les fidèles de l'Eglise catholique croate, à l'égard des Serbes orthodoxes.

La Fédération ouvrière croate en France (Section C.F.T.C.) a lancé une invitation à la réunion solennelle organisée, le dimanche 19 avril 1959, au siège de la Confédération Générale des Travailleurs Chrétiens, rue de Montholon à Paris, afin de célébrer le 18e anniversaire de la fondation de l'Etat croate oustachi.

 

On lit dans cette invitation :

« La cérémonie débutera par une sainte messe à l'Eglise Notre-Dame-de-Lorette... »

 

Mais le lecteur, édifié par ce pieux début, n'en sursaute que mieux quand il découvre un peu plus loin cette exhortation sans ambages : « MORT AUX SERBES... ! ». (93)

Ainsi, dans ce document peu banal, s'épanche le regret de n'avoir pas assez tué de ces « frères en Christ ».

D'après le livre du R.P. Dragoun, recteur de la Mission croate en France, l'accueil réservé aux réfugiés croates par les catholiques français serait insuffisamment chaleureux. On nous le dit tout net (pp. 59-60) et l'auteur revient encore (pp. 280-281) sur la « douloureuse déception » de ces réfugiés à « ne rencontrer qu'incompréhension de la part de leurs frères dans la foi ».

 

Eu égard au document précité, cette « incompréhension » nous paraît fort compréhensible. Nous ne pouvons que nous féliciter que, malgré les plus hautes invites, nos compatriotes témoignent peu de sympathie à une forme de piété où l'appel au meurtre voisine fraternellement avec la « sainte messe», dans la meilleure tradition romano-oustachie. Et nous serions plus satisfaits encore si l'on ne permettait pas que ces tracts sanguinaires soient imprimés et diffusés en plein Paris.

Le 10 février 1960, le trop fameux archevêque de Zagreb. Aloïs Stepinac, est décédé dans son village natal de Karlovice où il était astreint à résider. La mort fournit au Vatican l'occasion d'une de ces manifestations spectaculaires où il excelle.

En l'espèce, il y avait fort à faire, car nombreux sont les catholiques qui ne nourrissent aucune illusion sur le « cas » Stepinac. Aussi, le Saint-Siège, n'a-t-il rien négligé pour donner tout l'éclat possible à cette apothéose. L' « Osservatore Romano » en tète, toute la presse catholique a consacré maintes colonnes aux éloges dithyrambiques du « martyr », à son « testament spirituel », au discours de sa Sainteté Jean XXIII, proclamant les « motifs de respect et d'affection surnaturelle » qui l'avaient incité à accorder à ce cardinal qui n'était pas de la Curie, les honneurs d'un service solennel à Saint-Pierre de Rome, où lui-même, le pape, donnait l'absoute. Et pour que rien ne manquât à cette glorification, la presse annonçait l'ouverture prochaine d'un procès - mais canonique celui-là - à l'effet de béatifier cet illustre défunt.

 

Convenons qu'il a bien mérité tant de couronnes qu'on lui tresse, et même l'auréole qu'on lui destine, pour avoir si bien observé la « sainte obéissance » en exécutant à la lettre les instructions pressantes du Saint-Siège, quant aux rapports « cordiaux et sincères » qu'on souhaitait lui voir entretenir avec les oustachis.

Mais, parmi les catholiques même, il ne manquera pas d'esprits lucides, pensons-nous, pour discerner qu'en exaltant ce futur bienheureux, en ensevelissant sous les fleurs les sanglants souvenirs de son « apostolat », c'est en fait sur son propre crime que le Vatican s'efforce de donner le change.


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