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« Il n'est pas d'autre salut que l'amour de la vérité ».

 

Jean Guéhénno, de l'Académie Française.

 

« C'est pourquoi, renoncez au mensonge et que chacun dise la vérité ».

 

Eph. IV, 25.

 

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AVANT-PROPOS

 

Un auteur du siècle dernier, Adolphe Michel, a rappelé que Voltaire évaluait à six mille environ le nombre des ouvrages publiés de son temps sur la Compagnie des Jésuites. « A quel chiffre, demandait Adolphe Michel, sommes-nous arrivés un siècle plus tard ? » Mais c'était pour conclure aussitôt : « N'importe. Tant qu'il y aura des Jésuites il faudra faire des livres contre eux. On n'a plus rien à dire de neuf sur leur compte, mais chaque jour voit arriver de nouvelles générations de lecteurs... Ces lecteurs iront-ils chercher les livres anciens ? »(1)

 

La raison ainsi invoquée serait suffisante déjà pour justifier la reprise d'un sujet qui peut paraître rebattu.

 

 

On ne trouve plus, en effet, en librairie, la plupart des ouvrages de fond qui retracent l'histoire de la Compagnie des Jésuites. Ce n'est guère que dans les bibliothèques publiques qu'on peut encore les consulter, ce qui les met hors de portée pour le plus grand nombre des lecteurs. Un compendium extrait de ces ouvrages nous a donc paru nécessaire afin de renseigner succinctement le grand publie.

Mais une autre raison, non moins bonne, vient s'ajouter à la première. En même temps que de « nouvelles générations de lecteurs, sont venues au jour de nouvelles générations de Jésuites. Et celles-ci poursuivent aujourd'hui la même action tenace et tortueuse qui provoqua si souvent dans le passé les réflexes de défense des peuples et des gouvernements. Les fils de Loyola demeurent de nos jours - et plus que jamais, peut-on dire - l'aile marchante de l'Eglise romaine. Aussi bien masqués que jadis, sinon mieux, ils restent les « ultramontains » par excellence, les agents discrets mais efficaces du Saint-Siège à travers le monde, les champions camouflés de sa politique, l' « armée secrète de la papauté ».

DE ce fait, on n'aura jamais tout dit sur les Jésuites et, si abondante que soit déjà la littérature qui leur a été consacrée, chaque époque sera tenue d'y ajouter encore quelques pages pour marquer la continuité de l'oeuvre occulte entamée depuis quatre siècles « pour la plus grande gloire de Dieu », c'est-à-dire, en définitive, du pape. Car, en dépit du mouvement général des idées dans le sens d'une « laïcisation » sans cesse plus complète, malgré les progrès inéluctables du rationalisme, qui réduit un peu plus chaque jour le domaine du « dogme », l'Eglise romaine ne saurait renoncer sans se renier elle-même au grand dessein, qu'elle s'est fixé dès l'origine, de rassembler sous sa houlette tous les peuples de l'univers. Cette « mission », vrai travail de Sisyphe, doit se poursuivre coûte que coûte chez les « païens » comme chez les chrétiens « séparés ». LE clergé séculier ayant particulièrement la charge de conserver les positions acquises (ce qui ne laisse pas d'être assez malaisé aujourd'hui), c'est à certains ordres réguliers qu'échoit le soin, plus malaisé encore, d'augmenter le troupeau des fidèles par la conversion des « hérétiques » et des « païens ». Mais qu'il s'agisse de conserver ou d'acquérir, de se défendre ou d'attaquer, à la pointe du combat il y a cette aile marchante de la Compagnie des Jésuites - dénommée « Société de Jésus » --- qui n'est à proprement parler ni séculaire, ni régulière aux termes de ses Constitutions, mais une façon de compagnie légère intervenant là et quand il convient, dans l'Eglise et hors de l'Eglise, enfin « l'agent le plus habile, le plus persévérant, le plus hardi, le plus convaincu de l'autorité pontificale... », comme l'a écrit l'un de ses meilleurs historiens(2).

 

Nous verrons comment fut constitué ce corps de « janissaires », quels services sans prix il rendit à la papauté. Nous verrons aussi comment tant de zèle, et si efficace, devait le rendre indispensable à l'institution qu'il servait et lui assurer de ce fait sur cette institution une influence telle que son Général put être surnommé à bon droit le « pape noir », tant il devint de plus en plus difficile de distinguer, dans le gouvernement de l'Eglise, l'autorité du pape blanc de celle de son puissant coadjuteur.

 

C'est donc à la fois une rétrospective et une mise à jour de l'histoire du « jésuitisme », qu'on trouvera dans ce volume. La majorité des ouvrages consacrés à la Compagnie ne traitant pas de la part primordiale qui lui revient dans les événements qui ont bouleversé le monde depuis cinquante ans, nous avons jugé qu'il était temps de combler cette lacune, ou, plus précisément, de donner le branle, par notre modeste contribution, à des études plus serrées sur la matière, et ceci, sans nous dissimuler les obstacles que rencontreront les auteurs non apologistes en voulant rendre publics des écrits sur ce sujet brûlant.

De tous les facteurs qui sont entrés en jeu dans la vie internationale au cours d'un siècle riche en bouleversements, un des plus décisifs - et des plus méconnus néanmoins --- réside dans l'ambition de l'Eglise romaine. Son désir séculaire d'étendre son influence vers l'Orient, en a fait l'alliée « spirituelle » du pangermanisme et sa complice dans la tentative d'hégémonie qui, par deux fois, en 1914 et en 1939. apporta la mort et la ruine aux peuples d'Europe (2 bis).

Cependant, les responsabilités écrasantes assumées par le Vatican et ses Jésuites dans le déclenchement des deux guerres mondiales restent à peu près ignorées du public - anomalie qui peut trouver en partie son explication dans la gigantesque puissance financière dont disposent le Vatican et ses Jésuites, depuis le dernier conflit notamment.

De fait, le rôle qu'ils ont tenu dans ces circonstances tragiques n'a guère été mentionné jusqu'à présent, sinon par des apologistes empressés à le travestir. C'est pour combler cette lacune et rétablir la vérité des faits, que nous avons étudié, tant dans nos précédents écrits que dans le présent ouvrage, l'activité politique du Vatican à l'époque contemporaine - activité qui se confond avec celle des Jésuites.

 

Cette étude appuie sa démonstration sur des documents d'archives irréfutables et des publications dues à des personnalités politiques de premier plan, à des diplomates et des ambassadeurs, à des écrivains éminents, catholiques pour la plupart, voire cautionnés par « l'imprimatur ».

Ces documents mettent en pleine lumière l'action secrète du Vatican et la perfidie dont il use pour susciter entre les nations des conflits qu'il juge favorables à ses intérêts. Nous avons montré en particulier, en nous appuyant sur des textes probants, les responsabilités de l'Eglise dans la montée des régimes totalitaires en Europe.

L'ensemble de ces documents et témoignages constitue un réquisitoire accablant - qu'aucun apologiste, d'ailleurs, n'a entrepris de réfuter.

C'est ainsi que le « Mercure de France » du 1er mai 1938 rappelait en ces termes, la démonstration qu'il avait faite quatre ans plus tôt :

« Le Mercure de France du 15 janvier 1934 a montré --- et personne ne l'a contredit --- que c'était Pie XI qui « avait fait » Hitler, car ce dernier, si le Zentrum (parti catholique allemand) n'avait pas été influencé par le pape, n'aurait pu accéder au pouvoir, au moins par la voie légale... Le Vatican juge-t-il avoir commis une erreur politique en ouvrant ainsi la voie du pouvoir à Hitler ? Il ne le semble, pas... »

Non certes, il ne le semblait pas à l'époque où cela fut écrit, c'est-à-dire au lendemain de l'Anschluss qui réunit l'Autriche au III - Reich - et il ne semble pas davantage par la suite, quand les agressions nazies se multiplièrent, non plus que durant toute la deuxième guerre mondiale. Le 24 juillet 1959, n'a-t-on pas vu le pape Jean XXIII, successeur de Pie XII, confirmer dans ses fonctions honorifiques de camérier secret son ami personnel Franz von Papen, espion aux Etats-Unis pendant la première guerre mondiale et grand responsable de la dictature hitlérienne et de l'Anschluss ? En vérité pour ne pas comprendre, il faudrait être affligé d'un singulier aveuglement.

 

M. Joseph Rovan, auteur catholique, commente ainsi l'instrument diplomatique intervenu le 8 juillet 1933 entre le Vatican et le Reich nazi :

« Le Concordat apportait au pouvoir national-socialiste, considéré un peu partout comme un gouvernement d'usurpateurs, sinon de brigands, la consécration d'un accord avec la puissance internationale la plus ancienne (le Vatican). C'était un peu l'équivalent d'un brevet d'honorabilité internationale ». (Le catholicisme politique en Allemagne, Paris 1956, p. 231, Ed. du Seuil) .

 

Ainsi, le pape, non content d'avoir donné son appui « personnel » à Hitler, accordait la caution morale du Vatican au Reich nazi !

De même se trouvait tacitement acceptée - voire approuvée - la terreur que faisait régner outre-Rhin la « peste brune » des SA. ou Sections d'assaut hitlériennes, avec les 40.000 personnes déjà détenues dans les camps de concentration et les pogroms qui se multipliaient aux accents de cette marche nazie : « Lorsque le sang juif du couteau ruisselle, nous nous sentons à nouveau mieux ». (Horst-Wessel-Lied).

Mais dans les années suivantes le pape - en la personne de Pie XII - devait voir bien pire encore sans s'émouvoir. Il n'est pas surprenant qu'ainsi encouragées par le Magistère romain les sommités catholiques de l'Allemagne aient rivalisé de servilité envers le régime nazi. Il faut lire les dithyrambes échevelés et les acrobaties casuistiques des théologiens opportunistes, tels que Michael Schmaus, dont Pie XII fit plus tard un prince de l'Eglise et que « La Croix » (2 septembre 1954) qualifiait de « grand théologien de Munich » ou encore certain recueil intitulé Katholisch-Konservatives Erbgut, dont on a pu écrire :

« Cette anthologie qui réunit des textes des principaux théoriciens catholiques de l'Allemagne, de Gôrres à Vogelsang, arrive à nous faire croire que le national-socialisme serait parti purement et simplement des données catholiques. » (Günther Buxbaum, « Mercure de France », 15 janvier 1939).

 

Les évêques, tenus par le Concordat à prêter serment de fidélité à Hitler, renchérissaient de protestations de dévouement :

« Sans cesse dans la correspondance et dans les déclarations des dignitaires ecclésiastiques nous trouverons, sous le régime nazi, l'adhésion fervente des évêques ». (Joseph Rovan, op. cit. p. 214).

 

Ainsi, en dépit de l'évidente opposition entre l'universalisme catholique et le racisme hitlérien, ces deux doctrines avaient été « harmonieusement conciliées », selon les termes de Franz von Papen - et il exprimait la raison profonde de cette scandaleuse entente quand il s'écriait :

« Le nazisme est une réaction chrétienne contre l'esprit de 1789 ».

 

Revenons à Michaele Schmaus, professeur à la Faculté de Théologie de Munich, qui écrit :

« Empire et Eglise » est une série d'écrits qui doit servir à l'édification du IIIe Reich par les forces unies de l'Etat national-socialiste et du christianisme catholique...

« Entièrement allemandes et entièrement catholiques, c'est dans ce sens que ces écrits veulent examiner et favoriser les relations et les rencontres entre l'Eglise catholique et le national-socialisme et montrer ainsi les voies d'une coopération féconde, telle qu'elle se dessine dans le fait fondamental du Concordat...

« Le mouvement national-socialiste est la protestation la plus vigoureuse et la plus massive contre l'esprit des XIXe et XXe siècles... Le national socialisme place au point central de sa conception du monde l'idée du peuple formé par le sang... C'est par un « oui » général que devra répondre à cette question tout catholique qui observe les instructions des évêques allemands... les tables de la loi nationale-socialiste et celles de l'impératif catholique indiquent la même direction... » (Beqegnungen zwischen Katholischem Christentum und nazional-sozialistischer weltanschauung Aschendorff, Münster 1933).

 

Ce document démontre le rôle primordial joué par l'Eglise catholique dans l'avènement du Führer Hitler, on peut dire qu'il s'agissait d'une harmonie préétablie. Il illustre d'une façon profonde le caractère monstrueux de cet accord entre le catholicisme et le nazisme. Une chose en ressort fort claire : la haine du libéralisme, et c'est la clé de tout.

Dans son livre « Catholiques d'Allemagne », M. Robert d'Harcourt, de l'Académie française, écrit :

« Le point essentiellement vulnérable de toutes les déclarations épiscopales qui succèdent aux élections triomphales du 5 mars 1933, nous le trouvons dans le premier document officiel de l'Eglise réunissant les signatures de tous les évêques d'Allemagne. Nous voulons parler de la lettre pastorale du 3 juin 1933. Ici, nous avons affaire à la première manifestation engageant collectivement tout l'épiscopat allemand.

« Comment se présente le document ? Et d'abord comment débutera-t-il ? Sur une note d'optimisme, et par une déclaration d'allégresse : « Les hommes qui sont à la tête de l'Etat nouveau ont, à notre grande joie, donné l'assurance formelle qu'ils placent leur oeuvre et qu'ils se placent eux-mêmes sur le terrain du christianisme. Déclaration d'une solennelle franchise qui mérite la sincère reconnaissance de tous les catholiques » (Paris, Plon, 1938, p. 108).

 

Plusieurs papes ont occupé le trône pontifical depuis qu'éclata la première guerre mondiale, et leur attitude fut invariablement la même envers les deux camps qui s'affrontèrent en Europe.

Nombreux sont les auteurs catholiques qui n'ont pu cacher leur surprise - et leur peine - d'avoir à constater l'indifférence inhumaine avec laquelle le pape Pie XII assista aux pires atrocités commises par ceux qui jouissaient de sa faveur. Entre bien des témoignages nous citerons un des plus mesurés dans la forme, porté par le correspondant du « Monde » auprès du Vatican, M. Jean d'Hospital :

« La mémoire de Pie XII s'entoure d'un malaise. Posons tout de suite en clair une question que les observateurs de toutes les nations - et jusque dans l'enceinte de la cité du Vatican - ont inscrite sur leurs tablettes : a-t-il eu connaissance de certaines horreurs de la guerre voulue et conduite par Hitler ?

« Lui, disposant en tout temps, en tous lieux, des rapports périodiques des évêques... pouvait-il ignorer ce que les grands chefs militaires allemands n'ont pu prétendre ignorer sans être confondus : la tragédie des camps de concentration, des déportés civils, les massacres froidement exécutés de « gêneurs », l'épouvante des chambres à gaz, où, par fournées administratives, des millions de juifs ont été exterminés ? Et s'il l'a su, pourquoi, dépositaire et premier chantre de l'Evangile, n'est-il pas descendu sur la place en bure blanche, les bras en croix, pour dénoncer le crime sans Précédent ? Pour crier : non !...

 

« Car les âmes pieuses ont beau fouiller dans les encycliques, les discours, les allocutions du pape défunt, il n'y a nulle part une trace de condamnation de la « religion du sang » instituée par Hitler, cet Antéchrist... vous n'y trouverez pas ce que vous cherchez : le fer rouge. La condamnation de l'injure notoire à la lettre et à l'esprit du dogme qu'a représenté le racisme, vous ne la trouverez pas ». « Rome en confidence » (Grasset, Paris 1962, pp. 91 ss).

 

Dans son ouvrage « Le silence de Pie XII », édité par les Editions du Rocher, Monaco 1965, l'écrivain Carlo Falconi écrit notamment :

« L'existence de telles monstruosités (exterminations en masse de minorités ethniques, de prisonniers et de déportés civils) comporte un tel bouleversement des critères du bien et du mal, un tel défi à la dignité de la personne humaine et de toute la société, qu'ils obligent à les dénoncer tous ceux qui ont la possibilité d'influer sur l'opinion publique, qu'il s'agisse de simples citoyens ou d'autorité d'Etat.

 

« Le silence, en présence de tels excès, équivaudrait en effet à une véritable collaboration, car il stimulerait la scélératesse des criminels, en excitant leur cruauté et leur vanité. Mais si tout homme a le devoir moral de réagir devant de tels crimes, c'est un devoir encore plus urgent et plus inconditionnel qui s'impose aux sociétés religieuses et à leurs chefs, et donc plus qu'à tout autre, au chef de l'Eglise catholique...

« Pie XII n'a jamais formulé une condamnation explicite et directe de la guerre d'agression, et moins encore des violences inqualifiables exercées par les Allemands ou par leurs complices en raison de l'état de guerre.

« Pie XII ne s'est pas tu parce qu'il ignorait ce qui arrivait : il était au courant de la gravité des faits, depuis le début, peut-être mieux que tout autre chef d'Etat au monde... » (pp. 12 ss) -

 

Il y a mieux encore ! Comment méconnaître l'aide directe que le Vatican apportait à la perpétration de ces atrocités, en « prêtant » certains de ses prélats pour en faire des agents pro-nazis tels que Mgr Hlinka, des gauleiters tels que Mgr Tiso ? En envoyant son propre légat en Croatie - le R.P. Marcone - surveiller, avec Mgr Stepinac, le « travail » de Ante Pavelitch et de ses oustachis ? Car enfin, de quelque côté que les regards se portent, c'est le même spectacle « édifiant » qu'on découvre. Et pour cause 1 Car, nous l'avons assez montré, ce n'est pas seulement une partialité, une complaisance, si monstrueuses soient-elles, que l'on peut reprocher au Vatican. Son crime inexpiable, c'est la part déterminante qu'il a prise dans la préparation des deux guerres mondiales(3).

 

Ecoutons M. Alfred Grosser, professeur à l'Institut d'Etudes Politiques de l'Université de Paris :

« Le volume terriblement précis de Guenter Lewy « The Catholic Church and Nazi Germany » (New York McGrawhill-1964) dont on ne peut que souhaiter une prochaine traduction française en France... Tous les documents concordent pour montrer l'Eglise catholique coopérant avec le régime hitlérien...

« Au moment où le Concordat imposait aux évêques, en juillet 1933, un serment d'allégeance au gouvernement nazi, celui-ci avait déjà ouvert des camps de concentration... la lecture des citations accumulées par Guenter Lewy est véritablement accablante. On y trouve des textes terribles de personnalités telles que le cardinal Faulhaber ou le Père jésuite Gustav Gundlach(4).

 

En vérité. nous ne voyons pas ce que l'on pourrait opposer - si ce n'est de vaines paroles - à ce faisceau serré, de preuves qui établit la culpabilité du Vatican et celle de ses Jésuites. Dans l'ascension foudroyante d'Hitler, l'appui du Vatican et des Jésuites constitue le facteur décisif, Mussolini, Hitler, Franco ne furent mal. gré les apparences, que de simples pions de guerre manoeuvrés par le Vatican et ses Jésuites.

Les thuriféraires dit Vatican peuvent se voiler la face quand un député italien s'écrie : « Les mains du pape ruissellent de sang » ; (Discours de Laura Diaz, député de Livourne, Prononcé, le 15 avril 1946 à Ortona) et quand les étudiants de l'University College de Cardiff prennent pour thème d'une conférence : « Le pape doit-il être mis en jugement comme criminel de guerre ? (« La Croix », 2 avril 1946).

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Voici dans quels termes le pape Jean XXIII s'exprimait à l'adresse des Jésuites :

« Persévérez, chers fils, à ces activités qui vous ont déjà acquis des mérites signalés... Ainsi réjouirez-vous l'Eglise et grandirez-vous avec une ardeur infatigable la voie des justes est comme la lumière de l'aurore...

« Que grandisse donc cette lumière et qu'elle éclaire la formation des adolescents... C'est ainsi que vous préterez le secours de vos mains à ce qui est le voeu et la sollicitude de Notre esprit...

« Notre Bénédiction Apostolique, Nous la donnons de tout coeur à votre Supérieur Général, à vous, à vos coadjuteurs et à tous les membres (le la Société de Jésus »,(5).

 

Et le pape Paul VI

«Votre famille religieuse, dès sa restauration, jouit de la douce assistance de Dieu et elle s'enrichit très vite d'heureux développements... les membres de la Compagnie accomplirent de nombreuses et très grandes choses, toutes à la gloire divine et au bénéfice de la religion catholique... l'Eglise a besoin de valeureux soldats du Christ, armés dune foi intrépide, prêts à affronter les difficultés... Aussi plaçons-Nous de grands espoirs dans l'aide qu'apportera votre activité... que la nouvelle ère de la Compagnie se maintienne exactement et honorablement dans la ligne de son passé...

« Donné à Rome près Saint-Pierre, le 20 août 1964, seconde année de Notre Pontificat »(6).

 

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Le 29 octobre 1965, « l'Osservatore Romano » annonçait :

« Le Très-Révérend Père Arrupe, Général des jésuites, a célébré la Sainte Messe du Concile Vatican II, le 16 octobre 1965 ».

Et voici l'apothéose de l'« éthique papale » : l'annonce simultanée du projet de la béatification de Pie XII et de Jean XXIII.

 

« Et pour Nous raffermir dans cet effort de renouveau spirituel, Nous décidons d'ouvrir les procès canoniques de béatification de ces deux Pontifes, si grands, si pieux et qui Nous sont très chers »(7).

Pape Paul VI.

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Puisse ce livre révéler à ceux qui le liront le vrai visage de ce Magistère romain aussi « melliflue » en paroles que féroce dans son action secrète.

 

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FONDATION DE L'ORDRE DES JESUITES

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Le fondateur de la Société de Jésus, le Basque espagnol don Inigo Lopez de Recalde, né au château de Loyola, dans la province de Guipuzcoa, en 1491, est une des plus curieuses figures de moine-soldat qu'ait engendré le monde catholique, et de tous les fondateurs d'ordres religieux, celui peut-être dont la personnalité a le plus profondément marqué l'esprit et le comportement de ses disciples et successeurs. De là cet « air de famille », ou, comme on dit plutôt, cette « estampille » qui leur est unanimement reconnue et va jusqu'à la ressemblance physique. M. Folliet conteste ce point(1), mais il a contre lui maints documents qui établissent la permanence d'un type « jésuite » à travers le temps et les lieux, mais le plus amusant de ces témoignages, on le trouve au musée Guimet, dans certain paravent à fond d'or, datant du XVIe siècle, où un artiste japonais a représenté avec tout l'humour de sa race le débarquement des Portugais, et plus spécialement des fils de Loyola, dans les îles nippones. On ne peut s'empêcher de sourire, tant le coup de pinceau a fidèlement restitué la stupeur de cet amant de la nature et des fraîches couleurs devant ces longues silhouettes noires, aux visages funèbres, où se fige l'orgueil des dominateurs fanatiques. De l'artiste extrême-oriental du XVIe siècle à notre Daumier de 1830, la concordance est probante.

 

Comme beaucoup de saints, Inigo - qui romanisa plus tard son prénom sous la forme d'Ignace - ne paraissait nullement destiné à l'édification de ses contemporains(2), à en juger par les écarts (on parle même de « crimes très énormes ») de son orageuse jeunesse : « Il est perfide, brutal, vindicatif », dit un rapport de police. Au reste, tous ses biographes sont d'accord pour reconnaître qu'il ne le cédait à aucun de ses compagnons d'aventures et de plaisirs quant à la violence des instincts, chose assez commune en son temps. « Solda' déréglé et vain », dit de lui l'un de ceux qui ont reçu ses confidences, - « particulièrement déréglé dans le jeu, les affaires de femmes et le duel », renchérit Polanco son secrétaire(3). « C'est ce que nous rapporte un de ses fils spirituels, le R.P. Rouquette, non sans une certaine complaisance pour cette chaleur du sang qui devait tourner finalement « ad majorem Dei gloriam ».

 

Mais pour cela - et c'est encore le cas de nombreux héros - de l'Eglise romaine - il a fallu un choc violent, et d'abord tout physique. Page du trésorier de Castille, puis, après la disgrâce de celui-ci, gentilhomme au service du vice-roi de Navarre, le jeune homme, qui a jusque-là mené la vie de cour, va commencer une carrière de guerrier en défendant Pampelune contre les Français commandés par le comte de Foix. C'est au cours du siège de cette ville qu'il reçoit la blessure qui va décider de sa vie à venir. Une jambe brisée par un boulet, il est transporté par les Français vainqueurs dans le château familial de Loyola, chez son frère Martin Garcia. Et c'est le martyre de l'opération chirurgicale, alors qu'on ne connaît encore aucun anesthésiant, martyre recommencé un peu plus tard, car le travail a été mal fait. C'est la jambe à nouveau cassée, puis remise. Ignace n'en restera pas moins boiteux. Mais on comprend qu'il n'en faille pas plus pour déterminer chez le patient un ébranlement nerveux - si ce n'est une véritable lésion - qui modifiera profondément sa sensibilité. « Le don des larmes », où ses pieux biographes veulent voir une grâce d'en-haut - et qu'il reçut dès lors « en abondance », nous dit-on - n'a peut-être pas d'autre cause que l'hyper-émotivité dont il est désormais affecté.

 

Pour toute distraction, sur son lit de douleur, il lit une « Vie du Christ » et une « Vie des saints », seuls volumes qu'on ait pu trouver dans ce manoir.

Dans ce cerveau à peu près inculte et qui vient de subir une terrible commotion, ces images douloureuses de la Passion et du martyre vont s'imprimer d'une façon indélébile et, par leur obsession, orienter dans le sens de l'apostolat toutes les énergies du guerrier devenu infirme.

« Il ferme les beaux livres. Il rêvasse : il présente en effet un cas très net de rêverie éveillée. C'est le prolongement dans l'âge adulte du jeu de fabulation de l'enfant... Si cette fabulation envahit toute la vie psychique. c'est la névrose et l'aboulie ; on est sorti du réel 1... »(4).

 

Le fondateur d'un ordre aussi actif que celui des Jésuites semble échapper, de prime abord, au diagnostic «d'aboulie», ainsi d'ailleurs que bien d'autres « grands mystiques », créateurs d'ordres religieux, et dont on vante les hautes capacités d'organisateurs. Mais c'est que chez eux la volonté n'est impuissante qu'à résister aux images dominatrices. Elle demeure entière, et même augmentée, quant aux réalisations que celles-ci inspirent.

 

Le même auteur s'exprime ainsi à ce sujet

« Je veux maintenant signaler ce qui découle par voie logique de ce contraste frappant entre certaines intelligences brillantes et la pratique du mysticisme. Si le simple débile réceptif est déjà un danger, il ne l'est que par sa masse inerte de cristal intaillable ; mais le mystique intelligent va offrir un bien autre danger, celui-là même qui dérive de son activité intellectuelle qu'il va mettre incessamment au service du mythe... Le mythe, recteur de l'intelligence active, est généralement du fanatisme, maladie de la volonté dont il est une sorte d'hypertrophie partielle : « hyperboulie »(5).

C'est ce « mysticisme actif » et cette « hyperboulie » dont Ignace de Loyola allait fournir un exemple fameux. Toutefois, la transformation du gentilhomme guerrier en « général » de l'ordre le plus combatif de l'Eglise romaine ne devait se faire que lentement, à travers toutes les démarches hésitantes d'une vocation qui se cherche. Ce n'est pas notre propos de le suivre dans toutes les phases de cette réalisation. Rappelons seulement l'essentiel. Au printemps de 1522, il quitta le château ancestral, bien décidé à devenir un saint, comme ceux dont il avait lu les édifiants exploits dans le gros volume « gothique ». D'ailleurs, la Madone elle-même ne lui était-elle pas apparue, une nuit, tenant dans ses bras l'Enfant Jésus ? Après une confession générale au monastère de Montserrat, il comptait partir pour Jérusalem. La peste qui régnait à Barcelone et avait suspendu tout trafic maritime, l'obligea à s'arrêter à Manresa, où il resta presque une année, priant, s'abîmant en oraisons, s'exténuant de jeûnes, se flagellant, pratiquant toutes les formes de macération, et jamais las de se présenter au « tribunal de la pénitence », alors que la confession de Montserrat, qui avait duré trois jours entiers, nous dit-on, eût Pu paraître suffisante à un pécheur moins scrupuleux. On juge assez bien par cela de l'état mental et nerveux de l'homme. Enfin délivré de cette obsession du péché par l'idée que ce n'était là qu'une ruse du diable, il put se livrer désormais sans réserve aux visions et illuminations abondantes autant que diverses, qui hantaient son cerveau enfiévré.

 

« C'est par une vision, nous dit H. Boehmer, qu'il fut amené à manger de nouveau de la viande ; c'est toute une série de visions qui lui révéla les mystères du dogme catholique, et le fit vraiment vivre le dogme. C'est ainsi qu'il contemple la Trinité sous la forme d'un clavicorde à trois cordes ; le mystère de la création du monde sous la forme d'un je ne sais quoi de vague et de léger qui sortait d'un rayon lumineux ; la descente miraculeuse du Christ dans l'eucharistie sous la forme de traits de lumière descendant dans l'hostie au moment même où le prêtre l'élève en priant ; la nature humaine du Christ et de la Sainte Vierge sous la forme de corps d'une éclatante blancheur ; enfin Satan sous une forme serpentine et chatoyante, semblable à une foule d'yeux étincelants et mystérieux(6)». Ne voit-on pas poindre déjà toute l'imagerie jésuitique et saint-sulpicienne ?

 

M. Boehmer note encore les illuminations par lesquelles ce favorisé de la grâce se trouvait initié, par intuition transcendantale, au sens profond des dogmes :

« Beaucoup de mystères de la Foi et de la science lui devinrent tout à coup clairs et lumineux, et plus tard il prétendait n'avoir pas autant appris par toutes ses études, qu'il avait fait en ce peu d'instants. Et cependant il ne lui était pas possible de dire quels étaient les mystères qu'il avait ainsi pénétrés. Il ne lui en restait qu'un obscur souvenir, une impression miraculeuse, comme si, dans cet instant, il fût devenu « un autre homme avec une autre intelligence ».(7).

 

On reconnaît là, produit probablement par un dérèglement névrotique, le phénomène mille fois décrit d'hypertrophie du « moi » chez les mangeurs de haschich. et les fumeurs d'opium, l'illusion d'outrepasser le domaine des apparences et de planer dans la splendeur du Vrai - sensation fulgurante, et dont il ne reste au réveil que le souvenir d'un éblouissement.

 

Visions béatifiques ou illuminations ont accompagné ce mystique, en un cortège familier, au cours de toute sa carrière :

« Il n'a jamais mis en doute la réalité de ces révélations. Il chassait Satan avec un bâton, comme il aurait fait d'un chien enragé ; il causait avec le Saint-Esprit comme avec une personne qu'il aurait vue de ses yeux ; il soumettait ses résolutions à l'approbation de Dieu, de la Trinité, de la Madone, et, au moment de leur apparition, il se répandait en larmes de joie. Dans ces moments-là, il éprouvait un avant-goût des béatitudes célestes Le ciel s'ouvrait pour lui. La Divinité s'inclinait vers lui, sensible, visible(8).

 

N'est-ce pas le type parfait de l'halluciné ? Mais cette Divinité sensible, visible, ce sera aussi celle que les fils spirituels d'Ignace ne se lasseront pas de proposer au monde - et non pas seulement par calcul politique, pour s'appuyer, en le flattant, sur le penchant à l'idolâtrie toujours vivace au coeur de l'homme, mais d'abord en toute conviction, par l'effet de leur formation « loyolesque » Dès l'origine, le mysticisme médiéval n'a cessé de régner dans la Société de Jésus, et il en est toujours le grand animateur, nonobstant l'aspect mondain, intellectuel et savant volontiers affecté par cet Ordre à l'activité protéiforme. « Se faire tout à tous » est l'axiome fondamental. Mais arts, lettres, sciences et philosophie même, n'ont le plus souvent été pour lui que des moyens, des filets à prendre les âmes, tout comme l'indulgence excessive de ses casuistes, ce « laxisme » qu'on leur a si souvent reproché. En bref, il n'est pas, pour cet Ordre, de domaine où l'humaine faiblesse ne puisse être sollicitée et infléchie vers la démission de l'esprit et de la volonté, vers l'abandon de soi dans le retour à une piété enfantine et, par là même, reposante. Ainsi travaille-t-on à instaurer le ,« royaume de Dieu » selon l'idéal ignacien : un grand troupeau sous la houlette du Saint-Père. Si étrange que puisse paraître cet idéal anachronique chez des hommes instruits, et dont certains sont de haute culture, force est bien de le constater, et d'y voir la confirmation de ce fait trop souvent méconnu : la primauté de l'élément affectif dans la vie de l'esprit. Kant d'ailleurs, ne disait-il pas que toute philosophie n'est que l'expression d'un tempérament ?

 

A travers les modalités individuelles, le « tempérament » ignacien, semble bien uniforme chez les Jésuites. « Un mélange de piété et de diplomatie, d'ascétisme et d'esprit mondain, de mysticisme et de froid calcul : tel avait été le caractère de Loyola, telle fut la marque de l'Ordre »(9).

C'est que par ses dispositions naturelles, d'abord, du fait qu'il a choisi cette Congrégation, par les épreuves sélectives qu'il subit, et par un dressage méthodique qui ne dure pas moins de quatorze années, chaque Jésuite devient réellement un « fils » de Loyola.

Ainsi s'est perpétué depuis quatre cents ans le paradoxe de cet Ordre qui se veut « intellectuel », mais qui, simultanément, a toujours été dans l'Eglise romaine et dans la société le champion du plus étroit absolutisme.

 


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