A337. Taizé, ou la dérive œcuménique.

Article de Parole de Vie.

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Frère Roger, fondateur et prieur de la communauté œcuménique de Taizé, vient de se faire assassiner à 90 ans, dans l'église de la Réconciliation de sa communauté, devant plus de 2.000 personnes. Au-delà de l'horreur de ce drame incompréhensible, c'est l'occasion de réfléchir sur la mission et la signification de cette œuvre.

Voici ce que dit l'Encyclopédie de l'Agora sur "frère Roger de Taizé" :

"1940 : Un jeune Suisse de 25 ans, dont la mère est d’origine française, décide d’aller partager en France le sort de ce pays occupé. "De Genève, je suis parti à bicyclette pour la France, cherchant une maison où prier, où accueillir et où il y aurait un jour cette vie de communauté." C’est à Taizé, un petit village de Bourgogne où les habitants l’accueillent chaleureusement, qu’il choisit de vivre. "Dans ma jeunesse, j’étais étonné de voir des Chrétiens qui, tout en se référant à un Dieu d’amour, perdaient tant d’énergies à justifier des oppositions. Et je me disais : pour communiquer le Christ, y a-t-il réalité plus transparente qu’une vie donnée, où jour après jour la réconciliation s’accomplit dans le concret ? Alors j’ai pensé qu’il était essentiel de créer une communauté avec des hommes décidés à donner toute leur vie et qui cherchent à se réconcilier toujours." Au fil des ans se développe la communauté de Taizé. Des compagnons se joignent à frère Roger : la communauté se compose à l’heure actuelle de frères venant d’une trentaine de nations et qui sont catholiques ou de diverses origines évangéliques. La communauté n’accepte pour elle-même aucun don. Les frères gagnent leur vie par leur travail. Leurs héritages personnels, ils les donnent aux plus démunis.

"Une des pures joies d’Evangile est d’avancer encore et toujours vers une simplicité du cœur qui entraîne à une simplicité de vie" (frère Roger).

"Réconciliation : c’est l’essence de Taizé. Les milliers de jeunes du monde entier qui déferlent à Taizé "avec la régularité des vagues" depuis plusieurs décennies sont de toutes sortes de dénominations religieuses. Peu importe, ils trouvent à Taizé ce qu’ils viennent y chercher : un accueil respectueux de leurs croyances et cette prière en commun très simple et très rythmée qui les unit les uns aux autres. "Parmi eux, des jeunes orthodoxes de Russie, d’Ukraine, etc. Comme tous, ils attendent d’être aimés. Ils savent qu’ils viennent de pays éprouvés, qui connaissent encore des tensions. Pourtant, ils sont porteurs de trésors d’humanité, nous avons à apprendre d’eux. "

"Bien avant la chute du mur de Berlin, les frères de Taizé allaient discrètement dans les pays de l’Est rencontrer des jeunes. D’où le contact privilégié de Taizé avec l’Europe de l’Est.

"Pour les jeunes, nous souhaitons être avant tout des hommes d’écoute, jamais des maîtres spirituels. Avec eux, nous voudrions aller aux sources de la confiance de la foi, en particulier à travers l’irremplaçable prière commune qui, par sa beauté, vient toucher le fond de l’âme."

Le Frère Roger, d'origine Protestante, trouvait intolérables les divisions entre Chrétiens, et a toujours cherché ardemment à les réconcilier. C'est un noble objectif, qui devrait être aussi celui de tous les Chrétiens. Il ne s'agit donc pas de remettre en cause ce désir de réconciliation, mais plutôt d'examiner les moyens de cette réconciliation, et de juger si les moyens choisis par le fondateur de Taizé ont produit un fruit durable qui glorifie réellement le Seigneur et Sa Parole.

Le Concile de Vatican II avait laissé espérer à beaucoup de Catholiques progressistes que l'Eglise s'engagerait enfin dans des réformes nécessaires. Mais cette réforme s'est arrêtée net en chemin. Les traditionalistes ont repris de dessus.

Taizé fut, dans les années 60-70, le moteur de l'œcuménisme Protestant. Mais quels ont été les fruits de cet œcuménisme ? La communauté de Taizé est très vite devenue de plus en plus Catholique. L'identité protestante de ses fondateurs a été complètement effacée. La critique théologique constructive, à la lumière de la Parole, a complètement disparu, laissant la place à une conformité de plus en plus évidente avec les doctrines de Rome. Au point que beaucoup de Catholiques réformateurs et de Protestants ont fini par se détourner de Taizé.

Quelques années avant sa mort, le Frère Roger avait choisi son successeur, le Frère Aloÿs, un Catholique qui, à 51 ans, reprend aujourd'hui la direction de Taizé. La boucle est bouclée. Taizé est revenu dans le sein de l'Eglise. Même si la communauté reste un lieu de relative liberté dans l'Eglise, un lieu qui attire chaque année des milliers de jeunes de l'Europe et du monde entier, sa mission de réconciliation nous semble avoir échoué, dans la mesure ou cette réconciliation s'identifie de plus en plus à une invitation (respectueuse et non-dogmatique) à rejoindre l'Eglise de Rome.

Le Frère Roger était un grand ami du Pape Jean-Paul II, qui s'était rendu plusieurs fois à Taizé. Le Pape ne pouvait qu'être ravi de l'évolution théologique de la communauté ! Chaque année, le Frère Roger était reçu en audience privée au Vatican. Il a été le premier à recevoir la communion des mains du Cardinal Ratzinger, lors de la cérémonie funèbre honorant le Pape décédé, ce qui a profondément choqué beaucoup de Protestants. Mais ils savaient déjà que Frère Roger n'avait plus rien de Protestant, qu'il s'était déjà converti au Catholicisme, et qu'il n'était plus qu'une belle vitrine au service d'un faux œcuménisme contrôlé par Rome.

Il est clair que les milliers de pèlerins qui fréquentent chaque année Taizé, notamment les jeunes, ont le sentiment d'y vivre des moments très forts, dans les rencontres entre membres de différentes églises, la prière libre, et la simplicité d'une communion où chacun se sent accepté tel qu'il est.

Ce sont là des éléments positifs qu'il ne faut pas négliger. Mais la véritable communion fraternelle, au sein du Corps de Christ, ne peut se nouer, et perdurer, que dans une recherche ardente de la Vérité. C'est quand des Chrétiens recherchent ensemble la Vérité de la Parole de Dieu que le Saint-Esprit accomplit une œuvre profonde dans les cœurs, pour cimenter l'union du Corps dans une unité qui n'est pas que de façade, mais qui s'enracine dans la connaissance du Seigneur et de Sa Parole.

Pour n'avoir pas été ancré dans la Parole, l'œcuménisme de Taizé ne pouvait que dériver vers une reprise en main par Rome. C'est une grande leçon pour tous les Chrétiens évangéliques qui cherchent un rapprochement avec les Catholiques. Si ce rapprochement ne se fait pas sur la base d'une étude sérieuse et sans préjugés de la Parole de Dieu, il s'enlisera dans un marais théologique d'où l'on ne sort plus, ou finira par retomber sous la coupe de Rome. La séduction qu'exerce de cette Eglise est trop forte. Il est impossible d'y échapper si l'on n'est pas enraciné dans la Parole de Dieu !

L'Eglise Catholique, l'Histoire l'a prouvé, ne changera jamais dans ses doctrines, pour les aligner sur l'enseignement de la Bible. Chez elle, la Tradition primera toujours sur la Bible. Il est donc illusoire d'essayer de la faire changer. Tout ce qu'il est possible de faire, si nous sommes affermis dans la Parole et conduits par le Saint-Esprit, c'est partager la Parole avec des Catholiques en recherche sincère de la Vérité, en laissant le Saint-Esprit accomplir son œuvre dans les cœurs.

Nous avons recueilli certains textes écrits par le frère Roger, en y ajoutant notre commentaire personnel.

Voici ce qu'il écrivait, déjà en 1970, dans "Lutte et contemplation". C'est nous qui avons souligné certains passages.

"Dans le cheminement œcuménique, la conspiration du silence maintenue autour du ministère du pape n'a-t-elle pas en partie gelé un processus ? L'œcuménisme pourra-t-il se débloquer sans en appeler à un ministère pastoral d'unanimité, au plan universel ? Et cela de manière bien concrète, parce que nous sommes des hommes avec des oreilles pour entendre et des yeux pour voir.

Un homme du nom de Jean m'a fait avancer dans cette perspective. Par son ministère, Jean XXIII m'a ouvert les yeux à cette voie d'universalité. Contemporains de ce témoin du Christ, nous demeurons interpellés par lui.

Lors du dernier entretien que j'ai eu avec Jean XXIII, peu de temps avant sa mort, j'ai saisi que son ministère prophétique avait été refusé et que, par là, une heure de l'œcuménisme avait été manquée. Il avait renversé la situation de Contre-Réforme, entre autres en affirmant publiquement : "Nous ne voulons pas faire de procès historique, nous ne chercherons pas qui a eu tort et qui a eu raison". Il avait pris de grands risques. Au concile Vatican II, contre l'avis de beaucoup, il n'avait pas hésité à inviter des non-catholiques. Il avait demandé pardon pour le passé. Il était prêt à aller très loin. J'ai compris sa peine de n'avoir pas reçu de réponse de la part des non-catholiques, si ce n'est des paroles d'amabilité. Lors de cette dernière conversation avec lui, j'ai compris qu'un prophète avait été rejeté, que les oreilles s'étaient bouchées. L'œcuménisme dès lors s'enlisait dans une voie de parallélisme, les confessions poursuivaient leurs routes séparées, dans une simple coexistence pacifique, sans plus.ت

Si chaque communauté locale suppose un pasteur pour stimuler la communion entre ceux qui toujours se dispersent, comment espérer une communion visible entre tous les Chrétiens à travers la terre sans un pasteur universel ? Non pas à la tête (la tête de l'Eglise c'est le Christ), mais au cœur.

Pasteur universel, l'évêque de Rome nous entraîne-t-il vers une Eglise de communion, ne s'appuyant pas sur les puissances économiques ou politiques ? Si oui, alors ce pasteur, porté par son Eglise locale, va compter très fort pour promouvoir une communion entre tous.

Que demander à ce pasteur, appelé à être un évêque pauvre, si ce n'est d'expliciter pour chaque génération les sources de la foi, et d'inviter en peu de mots les Chrétiens, comme aussi beaucoup d'hommes au-delà des frontières de l'Eglise, à lutter contre l'oppression et l'injustice ?

Certes l'évêque de Rome est chargé d'un énorme poids d'histoire qui laisse encore mal transparaître la spécificité de sa vocation. Il est appelé aujourd'hui à se dégager des pressions locales pour être le plus universel possible, pour être libre de professer des intuitions prophétiques, pour être libre aussi d'exercer une pastorale œcuménique en activant la communion entre toutes les Eglises, en interpellant même celles qui refusent son ministère.

La responsabilité du "serviteur des serviteurs de Dieu", non seulement pour les catholiques mais aussi pour les non-catholiques, n'est elle pas en un mot de confirmer ses frères pour qu'ils vivent d'une même foi, d'une même pensée ? "Pierre, confirme tes frères".

Voilà de belles paroles, mais parfaitement creuses. L'accent est mis sur la nécessité d'un "pasteur" universel, pour réunir ceux qui ont "tendance à se disperser". Pas un mot sur la nécessité pour tous les pasteurs d'affermir le troupeau de Dieu dans la Vérité de la Parole du Seigneur, seule condition pour que la vie de Christ puisse se répandre dans son Corps ! Lutter contre l'oppression et l'injustice ne suffit pas ! La meilleure manière de "confirmer les frères", pour un pasteur, est de les conduire dans la perfection de Christ (Ephésiens 4), en leur enseignant une vérité pure, sans rien ajouter ni retrancher à la parole du Seigneur.

En tout cas, dès 1970, le Frère Roger était acquis à l'idée de la primauté du "ministère de pasteur universel" du Pape de Rome !

Quand Jean-Paul II a visité Taizé, le 5 octobre 1986, voici un extrait de ce qu'il a déclaré :

"Dans vos journées, le labeur, le repos, la prière, tout est vivifié par la Parole de Dieu qui s’empare de vous, vous garde petits, c’est-à-dire enfants du Père céleste, frères et serviteurs de tous dans la joie des Béatitudes.

Je ne l’oublie pas : dans sa vocation unique, originale et même, en un certain sens, provisoire, votre communauté peut susciter l’étonnement et rencontrer l’incompréhension et le soupçon. Mais à cause de votre passion pour la réconciliation des Chrétiens en une communion plénière, à cause de votre amour de l’Eglise, vous saurez continuer, j’en suis sûr, à être disponibles à la volonté du Seigneur. Ecoutant les critiques ou les suggestions des Chrétiens des différentes Eglises et communautés chrétiennes pour en retenir ce qui est bon, restant en dialogue avec tous, mais n’hésitant pas à exprimer vos attentes et vos projets, vous ne décevrez pas les jeunes, et vous contribuerez à ce que ne se relâche jamais l’effort voulu par le Christ pour parvenir à retrouver l’unité visible de son Corps, dans la pleine communion d’une même foi. Vous savez combien, pour ma part, je considère l’œcuménisme comme une nécessité qui m’incombe, une priorité pastorale dans mon ministère pour lequel je compte sur votre prière.

En voulant être vous-mêmes une "parabole de communauté", vous aiderez tous ceux que vous rencontrez à être fidèles à leur appartenance ecclésiale qui est le fruit de leur éducation et de leur choix de conscience, mais aussi à entrer toujours plus profondément dans le mystère de communion qu’est l’Église dans le dessein de Dieu.

Par le Don qu’il fait à son Eglise, le Christ libère en effet en chaque Chrétien les forces de l’amour et lui donne un cœur universel d’artisan de justice et de paix, capable d’unir à la contemplation une lutte évangélique pour la libération intégrale de l’homme, de tout homme et de tout l’homme"…

Apportez votre soutien confiant aux ministres de l’Eglise ; ils sont vos serviteurs au nom de Jésus, et à ce titre vous avez besoin d’eux. L’Eglise a besoin de votre présence et de votre participation. Si vous vous tenez à l’intérieur de l’Eglise, vous serez certes parfois heurtés par des divisions, des tensions internes et les misères de ses membres, mais vous recevrez du Christ, qui en est la tête, sa Parole de vérité, sa propre Vie, le Souffle de l’amour qui vous permettra de l’aimer fidèlement et de réussir votre vie en la risquant dans un joyeux don pour les autres."

Voilà encore de fort belles paroles, très séduisantes, propres à toucher les émotions de ceux qui ne prennent pas la peine de comparer les paroles aux actes !

"L'unité visible" du Corps de Christ, dans la pensée du Pape, ne se conçoit pas en dehors de l'Eglise de Rome. Les vrais "ministres de l'Eglise", pour lui, sont les prêtres, les évêques et le Pape. C'était effectivement la priorité de son ministère. Il faut qu'il réunisse toutes les églises chrétiennes dans une unité visible, sous la houlette de Rome. Sans cela, l'Antichrist ne pourra se manifester.

Tandis que, dans la pensée du Seigneur, l'unité spirituelle de Son Corps, l'Eglise "invisible" est déjà acquise par la foi en Christ et la nouvelle naissance, puis elle s'approfondit par la révélation de la Parole de Dieu, dans la Vérité. C'est cette révélation toujours plus profonde de la Parole de Dieu qui permet une réelle communion dans la Vérité, entre tous les enfants de Dieu. D'ailleurs, peut-on être un véritable enfant de Dieu, donc un enfant de la Vérité, sans avoir un amour total, absolu, constant, sans compromis, pour la Vérité ?

Le Pape avait dit aussi que Taizé devait "aider les Chrétiens de différentes églises à être fidèles à leur appartenance ecclésiale, qui est le fruit de leur éducation et de leur choix de conscience." Une telle déclaration est un non-sens ! Nous ne devons pas aider les Chrétiens à être fidèles à leur dénomination, surtout quand celle-ci est aussi infidèle que l'Eglise Catholique ! Mais nous devons les aider à connaître la Vérité, pour sortir de toutes leurs erreurs et ignorances ! Voilà le travail d'un vrai pasteur ! Voilà la vraie manière de "confirmer les brebis" !

La théologie du Frère Roger était assez universaliste, et il croyait en un salut universel de tous les hommes, par le sacrifice de Jésus. Voici ce qu'il a écrit (Document Taizé intitulé "Devons-nous regretter nos péchés ?")

"Dans le Nouveau Testament, le péché originel devient un concept plus explicite. Pour l’apôtre Paul, Adam représente l’unité du genre humain, et la faute d’Adam signifie que, quant au péché, il n’y a pas de différence entre les hommes : " Tous sont soumis au péché, comme il est écrit : Il n’est pas de juste, pas un seul" (Romains 3,9-10). Mais Paul ne s’intéresse à Adam que pour proclamer le rayonnement du Christ, tout aussi universel, sinon plus encore, que la contagion du péché : "Si, par la faute d’un seul, tous les hommes sont morts, combien plus la grâce de Dieu et le don conféré par la grâce d’un seul homme, Jésus-Christ, se sont-ils répandus à profusion sur tous" (Romains 5,15).

Parler de péché originel est donc une manière de dire que le salut est universel avant d’être individuel. Le Christ n’est pas venu pour arracher quelques-uns au monde mauvais, mais pour sauver l’humanité. Tous sont pécheurs, les mains vides devant Dieu. Mais à tous, Dieu offre le don de son amour. " Dieu, dans le Christ, se réconciliait le monde " (2 Corinthiens 5,19). Ce que le Christ a fait " procure à tous une justification qui donne la vie " (Romains 5,18). Personne ne peut, par ses propres forces, se soustraire aux impasses qui sont le destin commun de tous les humains. Mais, par le Christ, l’humanité est sauvée, et chacun peut désormais accueillir ce salut.

Cette conception d'un salut universel, "avant d'être individuel", est très ambiguë, et se rapproche beaucoup de la conception Catholique. La nécessité d'une repentance personnelle n'est pas soulignée, ni celle de l'acceptation personnelle du salut.

On retrouve le style des mystiques Catholiques, qui s'adressent à tous les hommes comme s'ils étaient tous des enfants de Dieu, déjà sauvés. Or, si l'on est bien créé par Dieu, on ne devient Son enfant que par la conversion à Christ. Sinon, on reste "enfant du diable" !

Dans sa lettre intitulée "La foi", le frère Roger ajoute :

"Cet Evangile, bonne nouvelle, révèle Dieu donnant tout : son pardon, sa vie, sa joie. C’est pourquoi le salut n’est pas réservé à ceux qui rempliraient certains critères. Il est pour les bons et les méchants, les sages et les fous. Dieu sauve "tous ceux qui croient".

La foi serait-elle alors la condition pour recevoir ce don de Dieu ? S’il en était ainsi, ma vie, mon bonheur, mon salut dépendraient en fin de compte de moi-même. Ce qui déciderait de tout, ce serait mon acceptation ou mon refus. Cette idée ne correspond pas à ce que la Bible entend par la foi. La foi n’est pas un moyen dont on se sert pour obtenir quelque chose. Elle est une réalité bien plus humble, une simple confiance toujours étonnée : sans que j’aie rempli aucune condition, Dieu me rétablit dans son amitié…

Si la foi est un don de Dieu et que tous ne croient pas, serait-ce que Dieu écarte certains ? Dans le passage où Jean cite Isaïe sur l’impossibilité de croire, il transmet aussi une parole d’espérance de Jésus : "Et moi, quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai tous les hommes à moi" (Jean 12,31). Elevé sur la croix et élevé dans la gloire de Dieu, le Christ " attire " comme le Père "attire". Comment fait-il pour atteindre tout être humain ? C’est impossible à dire. Mais pourquoi ne pas lui faire confiance concernant ce qui nous dépasse ?

Jusqu’à la dernière page, l’Evangile de Jean montre la fragilité de la foi. Le doute de Thomas est devenu proverbial. Mais ce qui est décisif, c’est que, sans croire, il reste dans la communauté des croyants et, bien sûr, ceux-ci ne le mettent pas dehors !

C'est clair ! On peut "rester dans la communauté des croyants… sans croire ! "Ce qui déciderait de tout, ce serait mon acceptation ou mon refus" ! Mais oui ! Ce qui décide de tout, c'est mon acceptation personnelle de Jésus comme mon Sauveur et Seigneur ! Affirmer autre chose revient à caricaturer l'Evangile et diluer son message dans les doctrines des hommes !

Avec une telle théologie, il est évident que l'on ne peut choquer personne, et qu'il est assez facile d'attirer les foules ! Quand on proclame la vérité sans compromis, même avec amour, les foules se font plus rares !

Dans "Les religions et l'Evangile", le Frère Roger nous montre quelle est sa vision de "l'évangélisation" :

Comme, dans chaque religion, il y va d’un absolu, et que cet absolu n’est pas le même d’une religion à l’autre, les religions comportent un potentiel de conflit. Faudrait-il alors, par amour pour la paix, chercher à harmoniser les religions, retenir de chacune seulement ce avec quoi tout le monde peut être d’accord ? Le souci d’harmonie n’est pas étranger à la Bible : "Ayez à cœur ce qui est bien devant tous les hommes" (Romains 12,17). Le dialogue inter religieux contribue à cette recherche du bien commun. Quand il y a une confiance entre des responsables de différentes religions, ils peuvent s’opposer ensemble à la violence, aux injustices.

Mais le dialogue ne serait pas sincère s’il obligeait les partenaires à renoncer à l’absolu qui caractérise les religions en tant que telles. Pour ce qui est des Chrétiens, nous ne pouvons pas renier qu’au cœur de notre foi se trouve le Christ Jésus, " unique médiateur entre Dieu et les hommes " (1 Timothée 2,5). Mais loin de nous interdire un vrai dialogue, cet absolu nous y engage, car si Jésus est unique, c’est par son humilité. Il s’est fait le serviteur de tous. Il a pris la dernière place. C’est pourquoi nous ne pourrons jamais, en son nom, prendre les autres de haut, mais seulement les accueillir et nous laisser accueillir par eux.

Un dialogue sincère avec les membres d'autres religions ne peut être envisagé que sur la base de recherche de la Vérité. Il ne s'agit nullement de "rechercher le bien commun". Si "l'absolu" d'une religion est fondé sur le mensonge, il est de notre devoir d'aider ceux qui aiment la Vérité à renoncer à ce mensonge, pour accepter la Vérité. Il ne s'agit pas de les contraindre, mais de témoigner hardiment en faveur de la Vérité qui, pour nous Chrétiens, a un nom : Jésus-Christ, et Sa Parole, La Bible ! Nous ne devons pas juger comme le font les hommes, d'une manière charnelle, et selon l'apparence, mais nous devons juger spirituellement, annoncer la vérité et dénoncer l'erreur et le mensonge. Ceux qui ont le cœur ouvert à la Vérité écouteront, car l'Esprit de Vérité travaillera avec nous, et avec Sa Parole, la Bible.

On le voit, les doctrines prêchées par le Frère Roger ne pouvaient guère gêner l'Eglise Catholique ! Pour prendre un autre exemple, son enseignement sur "l'Eucharistie" est parfaitement Catholique (sans sa lettre sur l'Eucharistie) :

A la veille de mourir, Jésus a accompli un geste pour exprimer le sens de sa vie et de sa mort. Lors d’un repas de fête, il prend du pain et le bénit en ajoutant ces mots : "Ceci est mon corps, donné pour vous." Puis à la fin du repas, il bénit une coupe de vin en disant : "Ceci est mon sang, versé pour vous." Les disciples ont pris ce que Jésus leur a donné et l’ont consommé.

Ce geste de Jésus rend présent, avec une densité inimaginable, le foyer brûlant de notre foi. Dans la Bible, manger le pain avec quelqu’un, c’est exprimer un partage de vie. Les invités assis autour de la même table forment comme une famille, se reconnaissent comme des frères et des sœurs. Mais ici, ce qui crée l’unité entre les convives, c’est Jésus lui-même. Non seulement il invite à sa table et préside au repas, mais il se donne comme l’aliment qui communique à tous une même Vie. "Ma chair est vraiment une nourriture et mon sang vraiment une boisson. Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui" (Jean 6,55-56).

En donnant sa vie pour nous, Jésus nous offre ainsi la possibilité d’entrer dans une communion avec lui et, par conséquent, entre nous. Si, au plan humain, la nourriture et la boisson sont assimilées par celui qui mange et boit, par la communion au corps et au sang du Christ c’est lui qui nous assimile à lui : nous devenons ce que nous consommons, le Corps du Christ (voir 1 Corinthiens 10,17), prolongation de la présence agissante du Christ dans le monde. L’Eucharistie manifeste au plan sacramentel le sens profond de la mort et de la résurrection du Christ : une communication de cette Vie qui consiste dans une communion avec la Source de toute vie et qui fait de nous une seule famille, un seul corps.

Frère Roger insiste lourdement sur le fait de "manger la chair" et "boire le sang" de Jésus, sans rappeler qu'il s'agit d'un symbole, et non d'une réalité physique. Ce n'est pas "l'aliment qui communique la Vie", mais la foi dans le Seigneur, ainsi que la bénédiction qui résulte de la Cène, quand elle est prise dignement, avec un cœur pur. Nous ne devenons pas ce que nous consommons, comme il l'écrit, mais nous devenons ce que nous croyons !

Nous aurions pu multiplier les citations. Mais celles que nous reproduisons ici sont suffisantes pour nous montrer que la théologie de Frère Roger est identique, dans le fond, à celle de Rome. Elle est simplement exprimée d'une manière plus subtile et moins dogmatique. C'est aussi ce qui en fait la séduction et le danger !

Nous ne mettons pas en doute la sincérité du Frère Roger, ni son désir ardent de réconcilier les Chrétiens dans l'amour de Christ. Mais nous sommes persuadés que sa tentative de réconciliation ne pouvait que reconduire à Rome, dans la mesure où elle n'était pas enracinée dans la Parole de Dieu.

Aujourd'hui, hélas, Taizé, comme tant d'autres centres œcuméniques, n'est plus qu'un instrument à rassembler subtilement le troupeau de Rome. Il n'est plus au service de la Vérité, à supposer qu'il l'ait jamais été. Il illustre parfaitement la dérive inéluctable de tout œcuménisme qui n'est pas fondé sur une recherche de la Vérité dans la Parole de Dieu, la Bible.

Nous devons toutefois compter sur la grâce du Seigneur ! Il connaît tous ceux qui Lui appartiennent. Qu'Il veuille bien continuer à éclairer tous ceux qui ont l'amour de la Vérité, pour les conduire à Jésus !