A325. La nouvelle Constitution.

Article d'Etienne Chouard. L'original peut être consulté à l'adresse suivante :

http://etienne.chouard.free.fr/Europe/index.htm

Reproduction autorisée, pourvu qu’elle soit intégrale, et que les sources soient indiquées.

 

Etienne Chouard est professeur d'Economie-Gestion à Marseille. Il a pris la peine de lire et d'analyser le projet de nouvelle Constitution Européenne. Ses conclusions sont intéressantes et inquiétantes ! Voici le texte intégral de son article, suivi d'un commentaire de Parole de Vie. L'article est long, mais il est clair et mérite d'être lu !

Une mauvaise constitution qui révèle un secret cancer de notre démocratie.

Chers collègues et amis,

Après six mois de réflexion intense, se cristallise une argumentation autour du "traité constitutionnel", à partir de lui mais au-delà de lui, une argumentation qui n’est ni de droite ni de gauche, et qui montre un danger historique pour nous tous, au-dessus de la politique. Pour ces raisons, cette courte argumentation devrait intéresser les citoyens de tous bords.

Il y a six mois, en septembre 2004, j’étais, comme tout le monde, favorable à ce texte sans l’avoir lu, par principe, "pour avancer", même si je savais bien que les institutions étaient très imparfaites. Je ne voulais pas être de ceux qui freinent l’Europe. Je crois vraiment que l’immense majorité des Européens, au-delà des clivages gauche/droite, aiment cette belle idée d’une Europe unie, plus fraternelle, plus forte. C’est un rêve de paix, consensuel, très majoritaire.

Je n’avais pas lu le texte et je n’avais absolument pas le temps : trop de travail… Et puis l’Europe c’est loin, et puis avec tous ces hommes politiques, je me sentais protégé par le nombre : en cas de dérive, il allait bien y en avoir quelques-uns pour nous défendre… et je me dispensais de "faire de la politique", c’est-à-dire que je me dispensais de m’occuper de mes propres affaires.

Déjà des appels s’élevaient contre le traité, mais ils venaient des extrêmes de l’échiquier politique et pour cette simple raison, je ne commençais même pas à lire leurs arguments, restant en confiance dans le flot de l’avis du plus grand nombre sans vérifier par moi-même la force des idées en présence.

Et puis soudain, des appels sont venus de personnes non suspectes d’être anti-européennes. J’ai alors lu leurs appels, sans souci des étiquettes, et j’ai trouvé les arguments très forts. Je me suis mis à lire, beaucoup, des livres entiers, de tous bords, Fabius, Strauss-Kahn, Giscard, Jennar, Fitoussi, Généreux, etc. et beaucoup plus d’articles des partisans du traité parce que je voulais être sûr de ne pas me tromper. Et plus je lis, plus je suis inquiet. Finalement, aujourd’hui, je ne pense plus qu’à ça, je ne dors presque plus, j’ai peur, simplement, de perdre l’essentiel : la protection contre l’arbitraire.

Je continue aujourd’hui à lire toutes les interventions, ceux qui sont pour, ceux qui sont contre, je continue à chercher où est la faille dans mon raisonnement et le présent texte est un appel à réfléchir et à progresser : si vous sentez une faille, parlons-en, s’il vous plaît, tranquillement, honnêtement, c’est très important. Je peux me tromper, je cherche sincèrement à l’éviter, réfléchissons ensemble, si vous le voulez bien.

Je sens que c’est mon rôle de professeur de droit [1] d’en parler un peu plus que les autres, d’en parler à mes collègues, mais aussi à mes élèves, aussi aux journalistes. Je serais complice si je restais coi.

J’ai ainsi trouvé plus de dix raisons graves de s’opposer à ce texte dangereux, et encore dix autres raisons de rejeter un texte désagréable, pas fraternel du tout en réalité. Mais les cinq raisons les plus fortes, les plus convaincantes, celles qui traversent toutes les opinions politiques parce qu’elles remettent en cause carrément l’intérêt d’avoir une réflexion politique, me sont apparues tardivement car il faut beaucoup travailler pour les mettre en évidence. Ce sont ces raisons-là, les cinq plus importantes, sur lesquelles je voudrais attirer votre attention et solliciter votre avis pour que nous en parlions ensemble, puisque les journalistes nous privent de débats publics.

 

Dans cette affaire d'État, les fondements du droit constitutionnel sont malmenés, ce qui rappelle au premier plan cinq principes traditionnels conçus pour protéger les citoyens.

Préalable : Constitution ou traité ?

Quelle est la juste qualification de ce projet ?

Il faut rappeler ce qu’est une Constitution et pourquoi on entoure son élaboration de précautions particulières.

Une Constitution est un pacte passé entre les hommes et leurs gouvernants. C’est parce qu’ils ont signé ce pacte que les hommes acceptent d’obéir aux lois. C’est par ce pacte que l’autorité trouve sa légitimité. Ce pacte doit protéger les hommes contre l’injustice et l’arbitraire. Les principes dont on va parler servent à garantir que le pacte joue son rôle protecteur et que les hommes pourront le contrôler.

Le projet de Traité établissant une Constitution pour l’Europe (TCE) est exécutoire sans limitation de durée [2], il s’impose sur presque tous les sujets essentiels à la vie des gens [3], sa force juridique est supérieure à toutes nos normes nationales (règlements, lois, Constitution) [4], il met en place les grands pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire) et il en règle les équilibres.

Pour se convaincre de l’enjeu, on peut citer Jean Foyer, professeur émérite à l’Université de Paris II, membre de l’Institut, ancien garde des sceaux : " Si le traité était ratifié, la loi constitutionnelle de la France serait d’une force juridique inférieure à celle d’une simple directive de l’Union européenne. "

Le projet de TCE est donc, par nature, une Constitution, il fixe "le droit du droit".

Les débats en cours montrent que ce préalable est au centre des réfutations. Je renforce donc mon affirmation par une citation d’Olivier Gohin, professeur à l’Université de Paris II : " Le nouveau Traité est une véritable Constitution dès lors qu’elle correspond à la définition matérielle de toute constitution : organisation des pouvoirs publics et garantie des libertés fondamentales, avec identification d’un pouvoir constituant (…) la nouvelle Union européenne réunit, dès à présent, les éléments nécessaires de la définition de l’État " [5].

Le plus important n’est donc pas, à mon avis, la qualification que les auteurs ont eux-mêmes donnée à leur texte, puisque les principes dont on va parler servent à protéger les citoyens contre des institutions dangereuses : tout texte fondamental qui définit ou modifie les pouvoirs des institutions devrait donc respecter ces principes, quelle que soit sa dénomination officielle.

Est-ce que ce texte à vocation constitutionnelle, donc, offre les garanties qu’on peut en attendre ? [6]

Premier principe de droit constitutionnel : une Constitution est un texte lisible.

Une constitution doit être acceptée, directement, par le peuple qui s’y soumet.

Pour que cette acceptation ait un sens, il faut que le texte soit lisible par le peuple, celui qui va signer (et pas seulement par des experts).

De ce point de vue, le "traité constitutionnel" est long et complexe [7] : 485 pages A4, soit presque une ramette (dans la version compacte actuellement disponible sur le site http://www.constitution-europeenne.fr ).

Cette longueur, unique au monde pour une Constitution, se double d’une multiplicité de renvois qui la rendent simplement illisible pour les citoyens de base.

Certains points importants comme la définition des SIEG n’apparaissent pas dans le texte [8].

Des contradictions apparaissent même entre des parties éloignées [9].

Pour illustrer encore la difficulté de lecture de ce texte, on doit relever également, et c’est grave, l’absence de liste des domaines dans lesquels chaque institution peut créer le droit. Ainsi, on ne trouve nulle part (et l'on peut donc parfaitement ignorer qu’existe) la liste des domaines où le Parlement Européen est complètement tenu à l’écart du droit de légiférer (ce n’est pourtant ni banal, ni anodin). Pour connaître cette répartition, il faut scruter les centaines d’articles un à un, en espérant de ne pas en avoir oublié (voir plus loin).  Est-ce qu’on peut parler de lisibilité ?

D’autres articles importants, comme l’article I-33 qui institue les "actes non législatifs" (règlements et décisions) qui permettent à une Commission (non élue) de créer sans contrôle parlementaire des normes aussi contraignantes que des lois [10], ne sont pas suivis d’une liste contrôlable.

Cette longueur et cette complexité interdisent la critique pour le commun des mortels.

Les 75% d’Espagnols votants qui ont approuvé ce texte, comme les 60% qui se sont abstenus,  ne l'ont probablement pas lu : ni les ministres, ni les parlementaires, ni les professeurs, ni les journalistes, ni les citoyens, qui ont tous autre chose à faire : qui a le temps matériel de lire 500 pages A4 ? Il suffit de se poser la question pour soi-même : ce n’est pas différent pour les autres.

Ces citoyens prennent ainsi le risque majeur, pour eux, mais aussi pour leurs enfants et leurs petits-enfants, de découvrir trop tard ce qu'ils ne pourront plus changer.

Il faut évidemment lire et comprendre ce que l'on signe.   Ou bien, on refuse de signer.

Même s'il était simple (et il ne l'est pas), un texte aussi long ne permet pas de le juger avec discernement.

Et pourtant, il faut bien avoir un avis. Comment faire pour avoir un avis sur un texte qu'on ne peut pas lire ?  En s’alignant sur "les autres", on se rassure, comme les moutons de Panurge.

Cette longueur est, par elle-même, non démocratique : le débat est réservé aux experts.

Une Constitution est la loi fondamentale, elle est "le droit du droit", elle doit pouvoir être lue par tous, pour être approuvée ou rejetée en connaissance de cause.

 

Deuxième   principe de droit constitutionnel : une Constitution n’impose pas une politique ou une autre, elle permet le débat politique sans en imposer l'issue.

Une Constitution démocratique n'est pas de droite ou de gauche, elle n'est pas socialiste ou libérale, une Constitution n'est pas partisane : elle rend possible le débat politique, elle est au-dessus du débat politique.

À l’inverse, le TCE, en plus de fixer la règle du jeu politique, voudrait fixer le jeu lui-même !

En imposant dans toutes ses parties [11] (I, II et surtout III) des contraintes et références libérales, ce texte n'est pas neutre politiquement, il impose pour longtemps des choix de politique économique qui devraient évidemment dépendre du débat politique quotidien, variable selon la conjoncture.  C’est une sorte de hold-up sur l’alternance des politiques économiques.

Notamment, ce texte confirme pour longtemps que l’Europe se prive elle-même des trois principaux leviers économiques qui permettent à tous les États du monde de gouverner :

Pas de politique monétaire : nous sommes les seuls au monde à avoir rendu notre banque centrale totalement indépendante, avec en plus, comme seule mission, constitutionnelle, intangible, la lutte contre l’inflation et aucunement l’emploi ou la croissance [12]. Aucun moyen n’est accordé aux pouvoirs politiques pour modifier ces missions. On sait pourtant que les politiques anti-inflationnistes se paient en chômage [13], par un effet presque mécanique. (Bien lire la note 13)

Pas de politique budgétaire : le pacte de stabilité [14] enferme les États dans une rigueur budgétaire qui est certes une politique possible, mais qui ne doit pas être la seule ad vitam æternam.  Aucune relance de type Keynésien (grands travaux) n’est plus possible.

Pas de politique industrielle : l’interdiction de toute entrave à la concurrence [15] emporte avec elle l’interdiction d’aider certains acteurs nationaux en difficulté ou fragiles.

C’est une politique de l’impuissance économique décrite par l’économiste Jean-Paul Fitoussi [16] qui est ainsi institutionnalisée, imposée pour longtemps.

À ce sujet, il faut lire la passionnante synthèse de douze économistes contre le TCE [17].

Le projet de TCE infantilise les citoyens d'Europe : il nous prive tous de l'intérêt de réfléchir à des alternatives. À quoi bon continuer le débat politique, en effet, puisque toute alternative réelle est expressément interdite dans le texte suprême ?

Mise à part la constitution soviétique (qui imposait, elle aussi, une politique, le collectivisme), cette constitution partisane serait un cas unique au monde.

Troisième principe de droit constitutionnel : une Constitution démocratique est révisable.

Tous les peuples du monde vivant en démocratie peuvent réviser leur pacte de gouvernement.

Le projet de TCE est beaucoup trop difficilement révisable [18] : pour changer une virgule à ce texte, il faut d'abord l'unanimité des gouvernements pour tomber d'accord sur un projet de révision, puis il faut l'unanimité des peuples (parlements ou référendums) pour le ratifier (cela s’appelle la procédure de révision ordinaire).

Avec 25 États, cette procédure de double unanimité est une vraie garantie d'intangibilité pour les partisans de l'immobilisme.  Ce texte semble pétrifié dès sa naissance.

Concrètement, si une large majorité d’Européens souhaitent modifier leur loi fondamentale, ils ne le pourront pas.  C’est ça qui est choquant, inquiétant.

C'est inacceptable pour une Constitution [19] et ce serait, là encore, un cas unique au monde.

On me répond en mettant en avant le mot "traité" pour prétendre que l'unanimité est normale (ce qui est vrai en matière de traités), mais ça ne tient pas : ce texte, à l’évidence, joue le rôle d’une constitution et l'oxymore "Traité constitutionnel" (assemblage de mots contradictoires) conduit, en jouant sur les mots, à créer une norme suprême trop rigide, trop difficile à réviser.

Paradoxalement, cette rigidité excessive s’accompagne d’une souplesse étonnante à l’occasion d’une autre procédure qui, elle, ne requiert pas l’accord direct des peuples : la procédure de révision simplifiée [20] autorise un des organes de l’Union (le Conseil des ministres) à modifier de sa propre initiative l’un des éléments clefs de la Constitution qui conditionne le degré de souveraineté conservé par les États membres dans tel ou tel domaine (puisque le passage à la majorité fait perdre à tous le droit de blocage) [21].   Ça, c’est grave.

Par ailleurs, pour l'entrée d'un nouvel État dans l'UE, la règle de l’unanimité est une protection, mais ce n'est pas l'unanimité des peuples consultés par référendum qui est requise : c'est d’abord l’unanimité des 25 représentants des gouvernements (dont beaucoup ne sont pas élus, et dont aucun ne l'est avec le mandat de décider sur ce point important), puis l’unanimité des États selon leur procédure nationale de ratification [22]. Seuls les pays qui ont une procédure référendaire, et la France en fait partie, verront donc leur peuple directement consulté.

On dirait vraiment que la volonté des peuples compte peu pour ceux qui les gouvernent.

Quatrième principe de droit constitutionnel : une Constitution démocratique garantit contre l'arbitraire en assurant à la fois la séparation des pouvoirs et le contrôle des pouvoirs.

L'esprit des lois décrit par Montesquieu est sans doute la meilleure idée de toute l'histoire de l'Humanité : tous les pouvoirs tendent naturellement, mécaniquement, à l'abus de pouvoir. Il est donc essentiel, pour protéger les humains contre la tyrannie, d'abord de séparer les pouvoirs, et ensuite d'organiser le contrôle des pouvoirs : pas de confusion des pouvoirs, et pas de pouvoir sans contre-pouvoirs.

Ainsi le peuple dit : " Toi, le Parlement, tu fais les lois, mais tu ne les exécutes pas. Et toi, le Gouvernement, tu exécutes les lois, mais tu ne peux pas les écrire toi-même. " Ainsi, aucun pouvoir n’a, à lui seul, les moyens d’imposer sa volonté

" D’autre part, si l’un des pouvoirs estime que l’autre a un comportement inacceptable, il peut le révoquer : l’assemblée peut renverser le gouvernement, et le gouvernement peut dissoudre l’assemblée. Dans les deux cas, on en appelle alors à l’arbitrage (élection) du peuple qui doit rester la source unique de tous les pouvoirs. " Il faut que chaque pouvoir ait à rendre des comptes et se sache contrôlé à tout moment.

C’est peut-être ça, la meilleure idée du monde, celle qui libère de la crainte d’un despote.

Même dans le cadre moderne d’une union d’États, on ne voit pas pourquoi ces principes protecteurs de bons sens auraient perdu leur valeur.

L’équilibre entre les trois pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) est cependant difficile à trouver.

Le pouvoir législatif tire une forte légitimité du suffrage universel direct et il est tentant de le rendre plus fort que les autres. Mais une assemblée, même légitime, peut tout à fait devenir tyrannique car le mécanisme de l’élection ne tient absolument pas lieu de contre-pouvoir. Par ailleurs, une assemblée n’est pas nécessairement le meilleur lieu pour décider : des effets de foule où une certaine dilution de la responsabilité individuelle au moment de décider collectivement peuvent conduire à des excès [23].

C’est pourquoi on prévoit souvent des limites au pouvoir parlementaire malgré la souveraineté qu’il incarne : on prévoit ainsi souvent deux chambres (système bicaméral) pour que l’une tempère l’autre : en France, c’est le Sénat, élu lui aussi, mais plus âgé, qui joue ce rôle modérateur de l’Assemblée Nationale, modérateur mais sans risque de blocage (en cas de désaccord, c’est l’Assemblée nationale qui a le dernier mot).

Souvent, on prévoit une autre limite importante au pouvoir législatif : il faut pouvoir dissoudre l’assemblée, toujours dans cette optique essentielle des contre-pouvoirs qui responsabilisent les acteurs publics.

Dans le cadre de ces limites (deux chambres et menace de dissolution), le Parlement devrait jouer un vrai rôle législatif, avec l’initiative des lois, la possibilité d’amender les textes dans tous les domaines, un vrai rôle dans la fixation des impôts (c’est un de ses rôles primitifs essentiels : contrôler le poids des prélèvements opérés par l’autorité publique)…

Ce n’est pas exactement ce qui est prévu dans le projet de TCE : le Parlement n’a pas l’initiative des lois [24], ce qui paraît inacceptable au premier abord, son rôle dans le vote du budget, quoique augmenté, reste limité, et surtout il est exclu de certains domaines, réservés au Conseil des Ministres [25].

On nous présente donc un "triangle" composé du Parlement qui représente les peuples, du Conseil des Ministres qui représente les États et de la Commission qui représente l’intérêt général (sic).

La Commission est principalement l’émanation du Conseil qui en nomme les membres avec un droit de regard du Parlement qui élit même son Président (sur proposition du Conseil). La commission est totalement indépendante, elle ne doit recevoir de consignes de personne, mais elle peut quand même être révoquée par le Parlement à travers une motion de censure et chacun des commissaires peut être "démissionné" par le Président de la Commission.

C’est la Commission qui est en charge de la préparation technique du droit et qui soumet ses propositions au Conseil des Ministres et au Parlement, présentés comme deux organes législatifs.

On présente donc le Conseil des Ministres comme une " chambre haute " qui jouerait le rôle du Sénat, mais c’est difficile à accepter : d’abord, les ministres ne sont pas élus, mais surtout, ils détiennent dans leur pays le pouvoir exécutif, c’est-à-dire qu’ils maîtrisent la force publique qui leur permettra, en rentrant au pays, d’appliquer les règles qu’ils ont eux-mêmes élaborées.

Ce sont donc les mêmes personnes qui créent le droit au niveau européen et qui l’appliquent au niveau national : il y a ici confusion des pouvoirs.  

    

Le Conseil des M. est un organe évidemment lié à l’exécutif à qui l'on a confié un rôle législatif.

Avec la non-séparation des pouvoirs, c’est un important rempart contre l’arbitraire qui nous échappe. Même si c’est sur un nombre limité de sujets (21 ? qui sait ?), c’est dangereux.

Laurent Lemasson, dans l’article précité [26], fait remarquer, lui, que le Parlement est composé d’une seule chambre, et que le Parlement est irresponsable : personne ne peut le dissoudre. On a vu qu’il est privé de l’initiative des lois, mais il peut dissoudre la Commission qui dispose de cette initiative, ce qui donne au Parlement un ascendant sur elle pour "suggérer" des propositions. L. Lemasson voit dans cette organisation des pouvoirs un risque de régime d’assemblée (une sorte de tyrannie parlementaire). Ça, je dois dire que c’est complètement nouveau pour moi, et l’analyse est intéressante : le Parlement serait à la fois complètement impuissant par endroits (on peut se demander pourquoi à ces endroits-là…) et peut-être trop fort ailleurs. À creuser…

Dans cette nouvelle approche, je vois aujourd’hui la codécision plus positivement, comme un contre-pouvoir dans les deux sens : ainsi, le Parlement ne peut pas abuser de son pouvoir, et le Conseil des Ministres non plus.

Sauf quand le Parlement est carrément mis à l’écart d’une série de sujets où le Conseil des Ministres légifère seul (comme par hasard ce sont des domaines économiques importants) (Art. III-130-3 : marché intérieur et Art. III-163 et III-165 : règles de la concurrence). Alors ça, c’est choquant parce que, sur ces sujets, il n’y a presque plus de contre-pouvoir : la Commission peut-elle être considérée comme une vraie force capable de s’interposer en cas de dérive arbitraire du Conseil (qui l’a nommée) ?

Il semble donc y avoir un vrai problème démocratique dans ce secteur des domaines réservés au Conseil : ni séparation, ni contrôle. La liste de ces sujets interdits n’existe nulle part, et cette exclusion du Parlement de certains domaines n’est même jamais formulée clairement.

Là où le contrôle des pouvoirs n’existe pas, c’est encore un rempart contre l’arbitraire qui va nous manquer.

Pour un citoyen qui débarque là sans avoir été conditionné psychologiquement au préalable, c’est choquant. Mais peut-être que je me trompe. Peut-on m’expliquer cet étrange " équilibre " des pouvoirs ? Pour qui a-t-on écrit ce texte ?

En tant que citoyen, on aimerait qu’on nous explique pourquoi cette exclusion existe, sur quels critères on a choisi ces sujets interdits, et pourquoi aucune liste explicite (et donc critiquable) n’a été formulée.

On aimerait aussi savoir qui est réellement responsable de ses actes dans cette organisation européenne, car enfin :

Le Parlement n’est responsable devant personne (en dehors des élections dont on a déjà dit qu’elles ne peuvent pas tenir lieu de contre-pouvoir) car il n’y a pas de procédure de dissolution.

Le Conseil européen n’est responsable devant personne au niveau européen (et il faut s’en remettre à la lointaine responsabilité nationale pour mettre en cause ses membres un par un). Le fait qu’il soit évidemment difficile d’organiser cette responsabilité, puisqu’il s’agit des chefs d’État, ne suffit pas à rassurer car le résultat est quand même une irresponsabilité au niveau fédéral.

Le Conseil des Ministres n’est responsable devant personne au niveau européen (et il faut encore s’en remettre à la responsabilité nationale pour mettre en cause ses membres un par un). Le fait qu’il soit, là aussi, évidemment difficile d’organiser cette responsabilité, puisqu’il s’agit des ministres dépositaires d’une autre souveraineté populaire que celle de l’Europe, ne suffit pas à rassurer non plus car le résultat est quand même une irresponsabilité là où sont prises les décisions.

Sans compter que la mise en œuvre de cette responsabilité paraît aussi compliquée qu’illusoire.

La Cour Européenne de Justice (CJE), non élue, est aussi hors de contrôle et sans recours (à ma connaissance), malgré les pouvoirs immenses dont elle est dotée à travers l’interprétation de tous les textes et l’arbitrage de tous les litiges.  Grave danger ? (à creuser).

La Banque Centrale Européenne (BCE), non élue, rigoureusement indépendante des pouvoirs publics, est également hors de contrôle, donc irresponsable, malgré l’influence considérable de ses décisions sur la vie quotidienne des 450 millions d’européens (voir plus haut).

C’est quand même consternant cette impression d’irresponsabilité générale, non ?

La commission, finalement, est la seule qui risque quelque chose [27] : la censure globale par le Parlement, d’une part, mais seulement aux 2/3 ce qui est beaucoup et qui rend peut-être la censure théorique, et d’autre part la démission individuelle d’un commissaire qui peut être exigée par le Président de la Commission.

Mais la Commission est-elle réellement le siège du pouvoir ? Là-dessus, les avis sont partagés, mais compte tenu du tableau d’ensemble, j’aurais tendance à penser comme Yves Salesse [28] que le vrai pouvoir est détenu par le Conseil des Ministres (irresponsable) et que la Commission fait écran, une sorte de "fusible politique", un bouc émissaire commode qui permet aux ministres de créer le droit tout en disant " Ce n’est pas moi, c’est elle, et je n’y peux rien, je ne peux pas la forcer : elle est indépendante… ".

La Commission est cependant un lieu de pouvoir important. Exemple : le commissaire chargé du commerce international, par le mandat qu’il a reçu une fois pour toutes, est le représentant unique de l’Union dans toutes les négociations internationales (OMC et autres). À lui seul, cet homme concentre donc un pouvoir vertigineux. C’est à ce titre qu’il négocie l’AGCS (Accord général sur les services, gigantesque projet de dérégulation [29], version mondiale de la directive Bolkestein) au nom de tous les Européens, mais dans le plus grand secret : il ne rend aucun compte au Parlement des négociations qu’il mène sur un accord qui va pourtant profondément changer la vie de tous les Européens, et le Parlement ne peut pas lui imposer de rendre des comptes [30].

On peut donc déjà observer des signes tangibles d’une dérive de type tyrannique. Et le "traité constitutionnel" verrouille pour longtemps un déséquilibre institutionnel qui le permet.

La commission peut être censurée par le Parlement, mais seulement à la majorité des deux tiers, ce qui signifie que la Commission peut gouverner 450 millions de personnes avec l’accord d’un tiers seulement du Parlement.

Même le mode de scrutin (par liste) garantit aux leaders des partis leur place au Parlement sans aucun risque, ce qui rend plus théorique la responsabilité de ces élus au moment des élections.

Tous ces pouvoirs sans contrôle réel, cette irresponsabilité générale… Où est la démocratie ?

Où sont les garde-fous contre l'arbitraire ?

Il paraît que, depuis vingt ans, les manuels scolaires des étudiants en sciences politiques appellent ça pudiquement le "déficit démocratique" de l'UE. Un terme bien anodin pour désigner en fait un abandon des peuples, trop confiants en ceux qu'ils ont désignés pour les défendre.

Il me semble que toutes les conversations des citoyens de base devraient en ce moment analyser ce recul de la démocratie : dans les institutions européennes, les organes de l’Union semblent être presque tous irresponsables, la volonté des peuples semble compter peu pour les gouvernants, et une certaine politique économique est imposée.

Comment les analystes et commentateurs peuvent-ils glisser là-dessus comme si c'était secondaire ? C'est l'Europe à tout prix ? N'importe quelle Europe ? Même non démocratique ?! On n'a pas le droit d'en parler sans être qualifié d’antieuropéen ?

L’argument selon lequel "c’est partout pareil" ne me rassure pas mais m’inquiète plus encore : pendant que la plupart des citoyens négligent la démocratie, hypnotisés par la pub, le foot et la télé, d’autres s’en occupent activement, et discrètement, on voit comment.

On nous dit : " ce texte est meilleur qu’avant, il faudrait être idiot pour refuser de progresser ". C’est masquer qu’avec ce texte, on ne ferait pas que progresser : on figerait, on bloquerait, on entérinerait, on renforcerait, on donnerait pour la première fois une caution populaire aux textes qui s’en sont dispensés jusque-là, on voit pour quel résultat.

Même mieux qu’avant, le texte proposé est dangereux.

Montesquieu doit se retourner dans sa tombe.

Triste paradoxe que ces peuples qui accepteraient eux-mêmes le recul de la démocratie, c’est-à-dire des différents remparts qui les protègent de l’injuste loi du plus fort.

On voudrait nous faire croire que tous ces défauts trouvent une juste compensation dans des avancées spectaculaires :

Par exemple, ceux qui claironnent la naissance d'un référendum d'initiative populaire à l'initiative d'un million de citoyens [31] n’ont pas bien lu : le traité ne définit qu'un triste droit de pétition sans aucune force contraignante pour la Commission qui n'est qu'invitée à réfléchir et qui peut parfaitement jeter la proposition à la poubelle sans même devoir se justifier [32].

De la même façon, les beaux principes généraux et généreux, claironnés partout, sur toutes les radios, les télés, les journaux, tout au long des spots officiels, n'ont explicitement aucune force contraignante et font ainsi illusion : Art. II-111-2 : " La présente Charte n'étend pas le champ d'application du droit de l'Union au-delà des compétences de l'Union, ni ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelles pour l'Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies dans les autres parties de la Constitution. "

On ne peut pas être plus clair que cet article 111-2 : la partie II est stérilisée, vidée de son sens, par l’article 111-2, cette charte est largement une illusion, un miroir aux alouettes.

Partout, ce texte est en trompe-l'œil et masque une maladie de la démocratie : progressivement et subrepticement, en affirmant le contraire sans vergogne, les exécutifs nationaux, de droite comme de gauche, à l'occasion de la naissance de l'Europe, sont en train, en cinquante ans, de s'affranchir du contrôle parlementaire là où ils en ont le plus besoin (en matière économique), et d’une façon plus générale de toute responsabilité réelle de la plupart de leurs décisions politiques.

Cinquième principe de droit constitutionnel : une Constitution démocratique est forcément établie par une assemblée indépendante des pouvoirs en place.

Une Constitution n’est pas octroyée au peuple par les puissants.  Elle est définie par le peuple lui-même, ou par des représentants choisis pour cette tâche précise, précisément pour se protéger de l’arbitraire des puissants.

À l’inverse, les institutions européennes ont été écrites (depuis cinquante ans) par les hommes politiques au pouvoir qui sont donc évidemment juges et parties : de droite comme de gauche, en fixant eux-mêmes les contraintes qui allaient les gêner tous les jours, ces responsables ont été conduits, c'est humain, mais c'est aussi prévisible, à une dangereuse partialité.

C'est, là encore, un cas unique au monde, pour une démocratie.

Et l'on observe les résultats comme une caricature de ce qu'il faut éviter : un exécutif complètement libre de ses mouvements sur des sujets économiques choisis, presque tous les organes de l’Union irresponsables à leur niveau de décision, une apparence de démocratie avec des trompe-l'œil partout, de petits progrès montés en épingle, mais un recul réel des garanties contre l'arbitraire.

La seule voie crédible pour créer un texte fondamental équilibré et protecteur est une assemblée constituante, indépendante des pouvoirs en place, élue pour élaborer une Constitution, rien que pour ça, révoquée après, et respectant une procédure très publique et très contradictoire (en droit, le mot "contradictoire" signifie que les points de vue opposés doivent pouvoir s’exprimer totalement).

C'est aux citoyens d'imposer cette procédure si les responsables politiques tentent de s'en affranchir.

La composition assez variée et riche en personnalités de grande valeur de la Convention Giscard n'est pas un argument satisfaisant : on reste à mille lieues d'une assemblée Constituante : ses membres n'ont pas été élus avec ce mandat, ses membres n'étaient pas tous indépendants des pouvoirs en place, et surtout ses membres n'avaient pas les pouvoirs pour écrire un nouveau texte, équilibré et démocratique : ils ne pouvaient que valider, compiler (et légèrement modifier) les textes antérieurs écrits par des acteurs à la fois juges et parties [33].

De plus, la réécriture du texte, encore par les gouvernants au pouvoir, pendant une année après que la Convention a rendu sa proposition, est encore une énormité d’un point de vue constitutionnel [34].   Ce n’est pas au pouvoir en place d’écrire le droit du droit.

En établissant une Constitution par voie de traité, procédure beaucoup moins contraignante qu’une lourde assemblée constituante, (publique, longuement contradictoire et validée directement par le peuple), les parlements et gouvernements, de droite comme de gauche, ont fait comme s’ils étaient propriétaires de la souveraineté populaire, et ce traité, comme les précédents, peut s’analyser comme un abus de pouvoir : nos élus, tout élus qu’ils sont, n’ont pas reçu le mandat d’abdiquer notre souveraineté.

C’est au peuple, directement, de contrôler que les conditions de ce transfert, (à mon avis souhaitable pour construire une Europe forte et pacifiée), sont acceptables.

Je respecte profondément, bien sûr, tous les membres éminents de la Convention, mais je crois simplement qu’ils n’avaient pas mandat pour faire ce qu’ils ont fait.

On est d’ailleurs sidéré de voir de nombreux acteurs politiques de premier plan qui osent regretter tout haut que le TCE ait été soumis à référendum, en soulignant que tout ça aurait été moins compliqué et moins incertain avec le Parlement qui aurait voté ça comme un seul homme, sans même rien lire peut-être…

Que valent les peuples pour nos élites ?

À propos, les nombreux gouvernements qui ont fait ratifier ce texte par leur Parlement national [35], plutôt que par leur peuple (référendum), signent une véritable forfaiture : les peuples de ces pays sont ainsi privés à la fois du débat et de l’expression directe qui leur aurait permis de résister au recul démocratique qui les expose à l’arbitraire.

Quel moyen reste-t-il à ces citoyens pour résister à cette confiscation de leur souveraineté ?[36]

Ce mépris des peuples et de leurs choix réels est très révélateur du danger qui grandit dans la plus grande discrétion : nos élites, de droite comme de gauche, se méfient de la démocratie et nous en privent délibérément, progressivement et insidieusement.

 Conclusion

Le TCE paraît donc dangereux à plusieurs titres. Que m’a-t-on répondu pour l’instant ? (Pardon pour les arguments encore oubliés, mais c’est un travail immense de compiler tout ça.)

Pour calmer mes craintes, on me parle de progrès, mais à la vérité tout est dans la référence qu'on prend pour évaluer le progrès : car, si l'on prend la situation de Nice (que je tiens pour déplorable sur le plan démocratique), c'est effectivement "mieux", c'est un "progrès", et l'on comprend donc pourquoi on se réfère à ce texte pour nous vendre le TCE.

Mais si je me réfère à la démocratie nationale que je perds au profit de la "démocratie européenne" que je gagne, c'est objectivement un recul qu’on me demande d’entériner : sur la responsabilité des actes quotidiens de tous les pouvoirs, sur le contrôle du pouvoir exécutif sur ses (x) domaines réservés et surtout sur la politique économique imposée, très probablement cause du chômage endémique et de la croissance molle en Europe, et imposée clairement pour longtemps.

Or je rappelle que c'est la première fois en cinquante ans qu'on me demande mon avis : en tant que citoyen, je ne suis donc pas cosignataire de Nice, ni des traités précédents.  À Maastricht, on m’interrogeait sur la monnaie et les contraintes économiques, si je me souviens bien, pas sur l’équilibre et le contrôle des pouvoirs. Et pour les contraintes, on s’était bien promis de faire le bilan. A-t-on fait ce bilan ? A-t-on de bonnes raisons d’être satisfaits des performances économiques de ces institutions pourtant à vocation plus économique que politique ? Relire Fitoussi et Généreux.

Pourquoi n'aurais-je donc à juger que du petit différentiel qui sépare Nice du TCE ?

Pourquoi n'aurais-je pas mon mot à dire ("moi", citoyen de base, évidemment) sur l'ensemble de ce fantastique coup de force des exécutifs nationaux, depuis cinquante ans, sur le contrôle citoyen des politiques menées ?

Je ne vois pas pourquoi il faudrait que le texte soumis au vote soit artificiellement circonscrit aux quelque 50 articles nouveaux du TCE.   

Quand je vois d'éminents experts prétendre qu'il n'y a que 60 pages à juger, 50 petits articles de rien du tout, prétendre que le reste existe déjà et se trouve donc hors du sujet, pas soumis au référendum, quand j'entends ça, je me dis, et j'ai l'impression que je ne suis pas le seul, qu’il est temps de se réveiller.

Si on refuse cette vue d'ensemble dont je parle, si cette période de cinquante ans est sacrée, promue intouchable, irréversible, si on impose Nice comme référence, alors, effectivement, le TCE est un "bon texte"  puisqu'on progresse", mais il ne vous apparaît pas qu'il manque une petite partie de la démonstration ? qu’on nous impose ainsi de valider un chemin qui n’est pas bon ?

C'est vrai que c'est sans doute une erreur (pour ceux qui construisent cette Europe peu démocratique)  d'avoir qualifié le texte de Constitution (ils nous ont mis la puce à l’oreille), et une autre erreur d'avoir proposé le texte par référendum à ces râleurs arrogants que sont les Français, mais pour nous, citoyens, j'ai bien l'impression que ces deux erreurs nous donnent une chance historique, celle de voir plus clairement le danger et d'enfin résister.

Il y a quand même un progrès incontestable dans ce traité… C’est la nouvelle possibilité qui est offerte de s’échapper du piège : Article I-60-1 : Le retrait volontaire de l'Union Tout État membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l'Union. ". Ce droit actuellement n’existe pas, ce qui fait du rejet du texte un enfermement dans un autre piège, celui de Nice. C’est gai…

Finalement, ce "traité constitutionnel" est un révélateur qui met en lumière ce qui se décide sans nous depuis longtemps.

D'une certaine façon, le loup est sorti du bois et les citoyens peuvent enfin voir le danger, et résister.

Une des grandes erreurs, probablement, c’est de faire passer l’économique avant le politique, c’est de renoncer à la possibilité d’agir, c’est de s’en remettre aveuglément aux marchés, c’est de confier la barre aux économistes alors qu’ils devraient rester dans les soutes pour faire tourner le moteur (c’est Bernard Maris, dans son savoureux antimanuel d’économie, qui le suggère en souriant).

En prônant la liberté comme une valeur supérieure, au lieu de la fraternité, en institutionnalisant la compétition, la concurrence, au lieu de la collaboration et l’entraide, en l’imposant dans le texte suprême à travers le dogme de la concurrence absolue, et finalement une morale du " chacun pour soi et contre tous ", en détruisant la régulation par l’État, gardien de l’intérêt général, pour instaurer la régulation par le marché, somme d’intérêts particuliers, les économistes libéraux s’en prennent aux fondements de la démocratie pour, tout compte fait, affranchir les principaux décideurs économiques de tout contrôle.

La dérégulation systématique menée en Europe (institutions, politique et verrou de la Constitution), et plus généralement sur la terre entière (OMC, AGCS, ADPIC) est un recul de la civilisation, un retour vers la barbarie de la loi du plus fort [37].

Par optimisme, par crédulité, par indifférence, les peuples modernes laissent s'affaiblir leur bien le plus précieux, très rare sur cette planète, celui qui conditionne leur sérénité quotidienne : les différentes protections contre l'arbitraire des hommes forts, depuis le cœur des entreprises (droits sociaux) jusqu'à la patrie (institutions démocratiques contrôlées et révocables).

La démocratie n'est pas éternelle, elle est même extrêmement fragile. En la croyant invulnérable, nous sommes en train de la laisser perdre. 

Même après le refus de ce texte-là, il faudra se battre pour la garder, et continuer à militer pour imposer à nos représentants de construire une autre Europe, simplement démocratique. Je n’ai pas d’alternative toute prête, peut-être d’autres en ont-ils. Sinon, il faut l’imaginer et la construire.

Ce texte fondateur en trompe-l'œil est présenté aux citoyens à travers un débat lui aussi en trompe-l'œil [38].

De nombreux journalistes, en assimilant les opposants au texte à des opposants à l'Europe, font un amalgame malhonnête : la double égalité "Oui au traité = Oui à l'Europe, Non au traité = Non à l'Europe" est un mensonge insultant, une inversion de la réalité, un slogan trompeur jamais démontré, fait pour séduire ceux qui n'ont pas lu le traité et qui n'ont pas étudié les arguments, pourtant forts, de ceux qui s’opposent à ce traité précisément pour protéger la perspective d’une Europe démocratique.

Les journalistes sont un rempart essentiel, moderne, pour protéger la démocratie. Montesquieu ne pouvait pas prévoir l’importance capitale qu’ils allaient prendre, mais c’est certain : le pouvoir immense des journalistes mériterait lui-même un vrai contre pouvoir (de ce point de vue, on peut sûrement se demander si on ne commet pas une grave erreur en laissant acheter et vendre les médias comme de simples marchandises) et leur responsabilité est ici historique.

C'est, pour l'instant, l'Internet qui est le média le plus démocratique, non censuré, le meilleur outil pour résister. Si ce message vous semble utile, diffusez-le vite dans vos propres réseaux et au-delà de l’Internet, sur papier.

Conseil aux partisans du TCE (je ne peux pas les aider, je n’ai pas trouvé moi-même les arguments qui leur manquent ;o) : pour rassurer ceux qui sentent un grand danger dans le TCE, c’est une mauvaise réponse de souligner ce qui est bon dans le TCE : ça ne suffit pas à rassurer, évidemment. On ne signe pas un texte s’il contient ne serait-ce qu’une seule ligne inacceptable, quand bien même il contiendrait par ailleurs monts et merveilles. Et ce traité comporte de nombreux points inacceptables.

Il faut donc plutôt démontrer qu’il n’y a pas de raison de s’inquiéter, par exemple que chaque organe de l’Union est pleinement responsable de ses actes (au-delà du simple mécanisme électoral) dans toutes les phases de création du droit, que les politiques économiques ne sont pas aussi encagées qu’il y paraît, que les volontés à venir des peuples européens ont toutes les garanties d’être respectées…

Quant aux opposants au traité, ils ne convaincront vraiment ceux qui, pour l’instant, votent oui en se bouchant le nez faute de mieux (il y en a tant…) qu’en proposant une alternative crédible, une perspective plausible.

C’est une vraie faille dans mon raisonnement, vous savez, celle que je cherchais au début : je ne vois pas bien comment faire changer de cap à ce paquebot, et je ne vois pas non plus comment recommencer à zéro, il faudrait être plusieurs.

Et si c’était les peuples d’Europe qui réclamaient fermement aux partis politiques cette refondation démocratique, en partant de la base, communiquant à travers le net pour se passer le mot sans forcément respecter les clivages des partis ?  On peut rêver…

C’est ce à quoi il faut réfléchir, non ?

J’ai entendu à la radio, il y a quelques semaines, une phrase qui a fait mouche, qui depuis résonne sans cesse dans ma tête et qui me change.   Elle dit : on ne naît pas citoyen : on le devient.

Étienne Chouard, Trets (Marseille).

Texte mis à jour le 24 avril 2005.

Vous pouvez m’écrire à etienne.chouard@free.fr mais je n’ai plus le temps de vous répondre comme il le faudrait, ou seulement de temps en temps. Pardon, vous êtes trop nombreux.

Je répète ici que je n’ai absolument aucune autorité pour expliquer le droit communautaire que je découvre en ce moment, pas à pas (de surprise en surprise). 

Post scriptum (3 & 12 avril 2005) :

Ce texte a un succès inattendu et il a déjà suscité des milliers de réactions. Des centaines de messages me parviennent chaque jour, presque toujours enthousiastes, parfois critiques, ce qui m’a permis de progresser. Certaines questions, des doutes aussi, reviennent dans les messages et je voudrais ici, d’un mot, y répondre pour anticiper les prochaines.

Je suis professeur de droit, d'économie et d'informatique, en BTS, dans un lycée de Marseille, j'ai 48 ans, quatre enfants, je n'appartiens à aucun parti, syndicat ou association. Dans ma vie, j'ai fait beaucoup plus de parapente que de politique où je suis vierge, un débutant absolu qui s’est "réveillé" il y a six mois, et où je ne ferai pas de vieux os (le vol libre est une drogue dure qui me rappellera vite à elle).

Je ne suis donc le "sous-marin" de personne (question marrante reçue récemment). 

Je suis un simple citoyen, "de base"…  :o)

J’ai reçu des propositions de publication sur des sites ou dans des revues que j’ai acceptées sans contrôler que la CIA ou le KGB n’agisse en sous-main. De nombreux sites ont déjà publié des liens vers ce texte, parfois sans m’en parler, et ils font bien.

Je voudrais anticiper sur les probables calomnies à venir, à base d’étiquetage politique hâtif en vue d’un discrédit facile. Je ne suis pas un homme politique, je n’aspire pas à le devenir, je ne prétends pas non plus être juriste pour imposer mon point de vue de façon prétentieuse mais pour expliquer ma démarche, d’ailleurs je ne suis pas vraiment juriste, j’ai surtout une formation de juriste, ce n’est, de toutes façons, pas important car je voudrais que le débat reste concentré sur le fond des problèmes sans dériver sur de stériles et parfois malveillantes querelles de personne ou procès d’intention dont les commentateurs politiques ont le secret

Ne me rendez pas non plus responsable de tout ce que devient ce document, de toutes les prévisibles récupérations et déformations. Chacun comprendra qu’il m’échappe et vit sa vie tout seul… :o)

Je ne cherche à manipuler personne : je me trompe peut-être dans mon analyse, j’attends simplement qu’on me le démontre et un débat respectueux est toujours fertile : "de la discussion jaillit la lumière" me disait mon père quand j’étais petit.

S’il vous plaît, fiez-vous surtout aux idées et arguments, abordez le débat comme si votre interlocuteur était de bonne foi, sans noires arrière-pensées, et ne vous laissez pas polluer l’analyse par des considérations parasites.

Ce débat important appartient au commun des mortels, c'est la beauté de la démocratie, ne le laissez pas confisquer par les experts.  Lisez, réfléchissez et prenez la parole sans complexes   :o)

Ne me reprochez pas les erreurs éventuelles comme si j'étais malhonnête : elles sont prévisibles, prévues, et pas du tout définitives si on recherche sincèrement à identifier les vrais enjeux de ce traité : admettez que la tâche est rude avec ce texte complexe et sibyllin, et qu'on est beaucoup plus forts à plusieurs pour affiner une critique qui deviendra (peut-être) finalement irréfutable.       

Enfin, vous avez compris que ce texte évolue, s’améliore, au gré de vos contributions, il est donc daté. Pour le faire circuler, envoyez donc de préférence un lien vers le site, plutôt qu’un document pdf figé, pour être sûr que ce soit la version la plus récente qui circule. 

J’exprime ici un chaud merci aux milliers de personnes qui, c’est émouvant, je peux vous dire, m’ont exprimé leur enthousiasme depuis que j’ai lancé cet appel au débat comme on jette une bouteille à la mer.  Je voulais un débat, je suis servi :o)

Merci aussi à tous ceux qui, profondément en désaccord avec mes analyses iconoclastes, m’ont écrit des mails splendides, très argumentés, respectueux et comprenant ma crainte sans pourtant la partager. Ces interlocuteurs de toutes origines me font beaucoup progresser, je change, j’essaie de leur répondre individuellement mais je n’y arrive plus comme je voudrais, je dois avoir 1 500 mails de retard…       

Ne m’en veuillez pas, c’est juste impossible, vous êtes trop nombreux.

Merci à tous pour votre écoute attentive et bienveillant :o)

NOTES :

[1]   Je suis professeur d’Éco-Gestion au lycée Marcel Pagnol à Marseille, en BTS. J’ai été longtemps prof de droit civil, commercial et constitutionnel en Terminale, et prof de droit fiscal en BTS Compta. Aujourd’hui, je suis devenu essentiellement professeur d’informatique et je suis aussi administrateur du réseau de 150 PC de mon lycée.

J’invoque mon métier de professeur pour qu’on comprenne mon goût d’expliquer, pas du tout pour me servir d’un argument d’autorité que je ne mérite pas. En effet, je ne suis pas prof de fac, pas prof de droit public, pas spécialisé en droit constitutionnel. Mais ma formation de juriste (maîtrise) m’a donné le goût du droit et je parle ici en simple citoyen, étonné par l’absence de débat constaté au début de l’année 2005. Je commets sans doute des erreurs, mais je les corrige si on me les signale.

Je prétends que les citoyens eux-mêmes, tout ignorants du droit communautaire qu’ils sont, comme moi, devraient être invités à réfléchir à leur Constitution, et que ce texte devrait être élaboré par des représentants élus pour ça, avec un programme politique adapté à la circonstance. À mon avis, ce débat-là ne doit pas être confisqué par les spécialistes. Il le sera finalement peut-être.

Ce texte " Une mauvaise constitution… " m’échappe aujourd’hui complètement. Tout ce que je peux faire, et c’est l’idée de départ, c’est corriger mes erreurs ou les mauvaises formulations et le compléter parfois, au gré de mes lectures qui se poursuivent et des innombrables conseils de mes lecteurs bienveillants.

[2]   Durée d’application du texte : Art. IV-446 : " Le présent traité est conclu pour une durée illimitée. "

[3]   Liste des domaines où l’Europe est compétente : Article I-13 : " Les domaines de compétence exclusive : §1. L'Union dispose d'une compétence exclusive dans les domaines suivants : a) l'union douanière ; b) l'établissement des règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur ; c) la politique monétaire pour les États membres dont la monnaie est l'euro ; d) la conservation des ressources biologiques de la mer dans le cadre de la politique commune de la pêche; e) la politique commerciale commune. §2. L'Union dispose également d'une compétence exclusive pour la conclusion d'un accord international lorsque cette conclusion est prévue dans un acte législatif de l'Union, ou est nécessaire pour lui permettre d'exercer sa compétence interne, ou dans la mesure où elle est susceptible d'affecter des règles communes ou d'en altérer la portée. " Article I-14 : " Les domaines de compétence partagée : (…) §2. Les compétences partagées entre l'Union et les États membres s'appliquent aux principaux domaines suivants : a) le marché intérieur ; b) la politique sociale, pour les aspects définis dans la partie III ; c) la cohésion économique, sociale et territoriale ; d) l'agriculture et la pêche, à l'exclusion de la conservation des ressources biologiques de la mer ; e) l'environnement ; f) la protection des consommateurs ; g) les transports ; h) les réseaux transeuropéens ; i) l'énergie ; j) l'espace de liberté, de sécurité et de justice ; k) les enjeux communs de sécurité en matière de santé publique, pour les aspects définis dans la partie III. (…)".

Parmi les compétences exclusives, voir l’art.I-13, §1 :e) la politique commerciale commune. "…

Les parlements nationaux sont ainsi totalement dépouillés, par exemple, de la moindre capacité d’influencer les accords commerciaux internationaux (AGCS, ADPIC et autres avatars de l’OMC), alors que la vie des citoyens est promise à des bouleversements majeurs à l’occasion de ces accords qui se préparent dans la plus grande discrétion.

[4]   Force supérieure des normes européennes sur toutes les autres normes, nationales et internationales : Art. I-6 : " La Constitution et le droit adopté par les institutions de l'Union, dans l'exercice des compétences qui sont attribuées à celle-ci, priment le droit des États membres. "  C’est la première fois qu’un traité européen énonce expressément cette règle.

Art. I-12 : " §1. Lorsque la Constitution attribue à l'Union une compétence exclusive dans un domaine déterminé, seule l'Union peut légiférer et adopter des actes juridiquement contraignants, les États membres ne pouvant le faire par eux-mêmes que s'ils sont habilités par l'Union, ou pour mettre en œuvre les actes de l'Union. ".

Voir aussi La primauté du droit communautaire sur la constitution française : l’abrogation implicite de la Constitution ", par Armel Pécheul, professeur à l’Université d’Angers (20 p.), chap. 3 du livre "La nouvelle Union européenne. Approches critiques de la Constitution européenne", (XF de Guibert).

[5]   Voir aussi les arguments d’Olivier Gohin, professeur de droit public à l’Université de Paris II : le nouveau traité est une Constitution (organisation des pouvoirs et garantie des libertés, avec identification d’un pouvoir constituant) et l’Union est un État (avec un territoire, un peuple, des pouvoirs publics et une souveraineté de compétences) : http://www.non-2005.org/index.php?action=article&id_article=127743

Certains professeurs vont plus loin : " la personnalité juridique de l’Union, instituée par Art. I-7 ", selon François-Guilhem Bertrand, professeur émérite à l’Université de Paris XI, " doit se lire avec l’arrêt du 31 mars 1971 de la Cour de Justice AETR qui décide que la personnalité donnée à l’Europe efface celle des États membres et leur interdit de se manifester lorsque l’Europe s’exprime. " (voir lien précédent).

C’est peut-être exagéré, C’est peut-être la réalité, c’est peut-être bien ou mal, je n’ai pas de certitude là-dessus, mais on pourrait au moins en débattre, au lieu de faire comme si de rien n’était.

Art. I-33 :Les actes juridiques de l'Union : Les institutions, pour exercer les compétences de l'Union, utilisent comme instruments juridiques, conformément à la partie III, la loi européenne, la loi-cadre européenne, le règlement européen, la décision européenne, les recommandations et les avis.

La loi européenne est un acte législatif de portée générale. Elle est obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre.

La loi-cadre européenne est un acte législatif qui lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant au choix de la forme et des moyens.

Le règlement européen est un acte non législatif de portée générale pour la mise en œuvre des actes législatifs et de certaines dispositions de la Constitution. Il peut soit être obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre, soit lier tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant au choix de la forme et des moyens.

La décision européenne est un acte non législatif obligatoire dans tous ses éléments. Lorsqu'elle désigne des destinataires, elle n'est obligatoire que pour ceux-ci.

Les recommandations et les avis n'ont pas d'effet contraignant. "

[6]   On retrouvera la plupart de ces principes, entre autres, dans le livre de Paul Alliès, professeur de sciences politiques à l’Université de Montpellier I, Une constitution contre la démocratie ? Portrait d’une Europe dépolitisée ".   Encore un livre absolument passionnant.  Extrait (chaque mot compte) :

" La construction européenne a mis silencieusement en péril la tradition de souveraineté populaire qui justifiait l’exercice du pouvoir par les autorités étatiques, leurs décisions n’étant qu’une émanation du peuple souverain. Elle l’a fait de deux façons : d’un côté, le droit constitutionnel européen ignore le moindre souverain constituant ; si bien que les décisions des autorités sont imputées à une entité, l’Union, qui n’est pas une communauté politique. D’un autre côté, il est de plus en plus difficile d’imputer les normes nationales, déduites des normes européennes, au peuple que les Constitutions de chacun des pays membres proclament souverain.

Nous entrons donc dans un système inédit, celui de l’Union où ni les traités en vigueur ni la Constitution ne mentionne aucun " souverain ". Aucun de ces textes n’a su désigner une source légitime du pouvoir de l’Union pour mieux faire semblant de respecter l’héritage d’une souveraineté populaire nationalement morcelée État par État. Le problème n’est pas là de savoir si sociologiquement, ou culturellement, un peuple européen existe. Il est de trancher la nature politique de l’Union à travers le fondement du pouvoir qu’elle contient. Jusqu’ici, le pouvoir constituant inventait un peuple et le faisait vivre.  Désormais, une Constitution invente une autorité sans sujet ni fin. " (page 57)

[7]   Constitution européenne : Comment se procurer le texte intégral ?

http://www.constitution-europeenne.fr

À lire avant de voter :

a/ Le traité établissant une Constitution pour l’Europe - 349 pages.

b/ Les protocoles et annexes I et II - 382 pages. Document nommé "Addendum 1 au document CIG 87/04 REV 1.

c/ Les déclarations à annexer à l’acte final de la CIG et l’acte final - 121 pages. Doc. Nommé "Addendum 2 au document CIG 87/04 REV 2.         Total : 349 + 382 + 121 = 852 pages dans la version fin 2004.

La version actuellement disponible (mi avril 2005) est désormais plus compacte : un seul fichier pdf : 485 pages.  En écrivant serré, en petite taille, et sur des grandes pages de journal, on peut tout faire tenir en moins de cinquante pages.

À titre de comparaison, les Constitutions françaises et américaines font chacune environ 20 pages.

Autres unités de mesure, moins sujettes à variation typographique, les mots et les caractères : la Constitution européenne contient 70 904 mots, soit 14,7 fois plus que la Constitution française, et 441 895 caractères (contre 46 515).

Enfin, un lien intéressant qui permet de comparer de nombreuses constitutions à travers le monde :

http://mjp.univ-perp.fr/constit/constitintro.htm

[8]   Pourtant, malgré sa longueur, tout n’y figure pas : une information aussi essentielle que la définition des SIEG, services d’intérêt économique général, (cités aux art. II-96, III-122, III-166), à ne pas confondre avec les services publics, ne figurent pas dans les 852 (485) pages : il faut, dans cet exemple, consulter le "livre blanc" de la Commission pour apprendre que les SIG et SIEG ne sont pas synonymes de "services publics" :

http://europa.eu.int/comm/secretariat_general/services_general_interest/index_fr.htm , p. 23 : " Il  convient de souligner que les termes "service d'intérêt général" et "service d'intérêt économique général" ne doivent pas être confondus avec l'expression "service public" (…) ".

[9]   Il faut lire toutes les pages jusqu’au bout : l’interprétation de la Charte des droits fondamentaux est décrite en dehors de la Constitution elle-même, dans un texte qui s’appelle Déclaration 12 : le préambule de la Charte prévoit que " Dans ce contexte, la Charte sera interprétée par les juridictions de l'Union et des États membres en prenant dûment en considération les explications établies sous l'autorité du præsidium de la Convention qui a élaboré la Charte. " 

Dans cette déclaration n°12, on trouve parfois le contraire de ce que la Charte affirme haut et fort.

Ainsi, après qu’ait été affirmé le droit à la vie et l’interdiction de la peine de mort dans l’article II-62 de la Charte, l’article 2 de la déclaration n°12, page 435 (qui parle de texte lisible ?) précise : "La mort n'est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d'un recours à la force rendu absolument nécessaire :

a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;

b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l'évasion d'une personne régulièrement détenue ;

c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection."

Le même article précise aussi : " "Un État peut prévoir dans sa législation la peine de mort pour des actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre ; une telle peine ne sera appliquée que dans les cas prévus par cette législation et conformément à ses dispositions...".

On constate donc que tout n’est pas dit dans la Charte elle-même et qu’il faut bien lire toutes les pages.

[10] Le danger des " actes non législatifs ", qui permettent à la Commission (non élue) de créer librement des règles contraignantes de portée générale, a été dénoncé par le contre rapport des conventionnels jugeant le TCE non démocratique. Un document intéressant, à lire à :

http://bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=14058

Pour les actes juridiques de l’Union, voir l’art. I-33, note ci-dessus.

[11] Les instructions impératives de type politique sont trop nombreuses pour les citer toutes. Entre autres, plus de trois cents articles de la partie III fixent en détail les politiques économiques de l’Union.

[12] Indépendance et missions de la banque centrale : art. I-30 : " §1 (…) La Banque centrale européenne et les banques centrales nationales des États membres dont la monnaie est l'euro, qui constituent l'Eurosystème, conduisent la politique monétaire de l'Union. §2. Le Système européen de banques centrales est dirigé par les organes de décision de la Banque centrale européenne. L'objectif principal du système européen de banques centrales est de maintenir la stabilité des prix. Sans préjudice de cet objectif, il apporte son soutien aux politiques économiques générales dans l'Union pour contribuer à la réalisation des objectifs de celle-ci. Il conduit tout autre mission de banque centrale conformément à la partie III et au statut du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne. §3. La Banque centrale européenne est une institution. Elle a la personnalité juridique. Elle est seule habilitée à autoriser l'émission de l'euro. Elle est indépendante dans l'exercice de ses pouvoirs et dans la gestion de ses finances. Les institutions, organes et organismes de l'Union ainsi que les gouvernements des États membres respectent cette indépendance. " et art. III-188 : " ni la Banque centrale européenne, ni une banque centrale nationale, ni un membre quelconque de leurs organes de décision ne peuvent solliciter ni accepter des instructions des institutions, organes ou organismes de l'Union, des gouvernements des États membres ou de tout autre organisme. "

[13] Voir JP Fitoussi, Professeur des Universités à l'Institut d'Études Politiques de Paris, Président du Conseil Scientifique de l'IEP de Paris, Président de l'OFCE et Secrétaire général de l'Association Internationale des Sciences Économiques, entretiens avec JC Guillebaud, " La politique de l’impuissance ", 2005, Aléa :

- JCG : " Vous êtes en train de dire qu’au fond, obsédé par la lutte contre l’inflation, on a littéralement consenti au chômage. "

- JPF : Pis que ça ! On a dans une première phase instrumentalisé le chômage pour combattre l’inflation. Chaque "banquier central" de la planète sait que, dès qu’il augmente les taux d’intérêts, il met au chômage une partie des catégories les plus vulnérables de la population. Non seulement il le sait, mais c’est précisément pour ça qu’il le fait. Pourquoi augmente-t-on les taux d’intérêts ? Parce qu’on est persuadé que la demande est trop forte et que les entreprises produisant à pleine capacité ne pourraient la satisfaire qu’en augmentant leurs prix. La douche froide des taux d’intérêts réduit ainsi la demande et incite les entreprises à licencier. " (p. 45)   

(…)

- JCG : " Que pensez-vous des deux arguments martelés à cette époque [après 1982] à propos de l’inflation et du respect des grands équilibres ? Premièrement on a dit qu’il était légitime (y compris moralement) de lutter contre l’inflation parce qu’elle pénalisait les plus pauvres ; deuxièmement, qu’il fallait maintenir les grands équilibres par simple respect et générosité pour les générations à venir, afin de ne pas faire peser une charge trop lourde sur la tête de nos enfants. On a habillé, en quelque sorte, cette politique d’un discours de générosité… "

- JPF : " C’était un double mensonge. En augmentant les taux d’intérêts, et surtout en les maintenant à un niveau élevé une fois l’inflation vaincue, on savait qu’on favorisait ceux qui détiennent le capital financier, et que l’on excluait de l’accès aux biens durables (qui exigent un recours à l’emprunt) les catégories les plus vulnérables de la population. (…) Le second mensonge, c’est qu’en augmentant les taux d’intérêt on faisait du service de la dette un des postes les plus importants du budget de l’État. " (P. 46)

- JPF : Que l’orientation des politiques économiques de l’Union soit, pour l’essentiel, indépendante de tout processus démocratique est à la fois contraire aux traditions politiques des peuples européens, et dangereux pour l’efficacité économique de l’ensemble. " (p. 72)

- JPF : En forçant le trait, on pourrait affirmer que le " gouvernement économique " de l‘Europe se rapproche à s’y méprendre d’un despote éclairé qui, à l’abri des pressions populaires, chercherait le bien commun au travers de l’application d’une doctrine rigoureuse — le libéralisme -, supposée supérieure à toutes les autres en termes d’efficacité économique. La démocratie ne serait donc pas le système politique le mieux à même d’appréhender l’intérêt général ; elle placerait les gouvernements en position de vulnérabilité devant les pressions des populations en faveur de la redistribution.  Le pouvoir a ainsi changé de mains. Les politiques ont préféré le confier à des agences indépendantes.  (…)

Mais il est vrai aussi que, dès l’origine, la construction européenne fut l’œuvre d’une démocratie des élites, plutôt que de la démocratie tout court. Cependant les élites ont changé (…) aujourd’hui elles ont tendance à assimiler le bien public au marché."

La suite est édifiante… Un petit livre important, à lire…

[14] Pacte de stabilité : art. III-184 (2 pages) et art. 1 du protocole n°10 sur la procédure concernant les déficits excessifs " Les valeurs de référence visées à l'article III-184, paragraphe 2, de la Constitution sont les suivantes : a) 3 % pour le rapport entre le déficit public prévu ou effectif et le produit intérieur brut aux prix du marché ; b) 60 % pour le rapport entre la dette publique et le produit intérieur brut aux prix du marché. "  Voir aussi la note précédente.

[15] Interdiction de fausser la concurrence : cette interdiction est partout dans le texte, elle est formelle et contraignante : Art. III-166 :§1. Les États membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire à la Constitution, notamment à l'article I-4, paragraphe 2 [non discrimination], et aux articles III-161 à III-169 [règles de concurrence]. §2. Les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux dispositions de la Constitution, notamment aux règles de concurrence, dans la mesure où l'application de ces dispositions ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de l'Union. §3. La Commission veille à l'application du présent article et adopte, en tant que de besoin, les règlements ou décisions européens appropriés. "

[16] La politique de l’impuissance " : voir le petit livre lumineux de Jean-Paul Fitoussi (économiste de premier plan) qui démontre cette dépossession progressive des responsables politiques par méfiance de la démocratie. Voir extrait plus haut. 

Voir aussi le livre enthousiasmant de Jacques Généreux, " Manuel critique du parfait européen " qui proteste, lui aussi, contre le sabordage des outils européens d’intervention économique, et contre le dogmatisme aveugle qui soutient cette folie unique au monde.

[17] " Douze économistes contre le projet de constitution européenne ", par Gilles Raveaud, docteur en économie et enseignant (Institut d’études européennes, Université Paris VIII), et onze autres : une analyse remarquable, très argumentée, du projet actuel de l’Union, projet plus économique que politique, à lire : http://www.legrandsoir.info/article.php3?id_article=2231 et http://econon.free.fr/index.html .

[18] Procédure de révision ordinaire : art. IV-443.3 : " Une Conférence des représentants des gouvernements des États membres est convoquée par le président du Conseil en vue d'arrêter d'un commun accord les modifications à apporter au présent traité. Les modifications entrent en vigueur après avoir été ratifiées par tous les États membres conformément à leurs règles constitutionnelles respectives. "

[19] Rappel : l’article 28 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de l’an I de la République française (1793) précisait : " Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut pas assujettir à ses lois les générations futures. "

[20] Procédure de révision simplifiée :

art. IV-444 : " 1. Lorsque la partie III prévoit que le Conseil statue à l'unanimité dans un domaine ou dans un cas déterminé, le Conseil européen peut adopter une décision européenne autorisant le Conseil à statuer à la majorité qualifiée dans ce domaine ou dans ce cas.

Le présent paragraphe ne s'applique pas aux décisions ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense.

2. Lorsque la partie III prévoit que des lois ou lois-cadres européennes sont adoptées par le Conseil conformément à une procédure législative spéciale, le Conseil européen peut adopter une décision européenne autorisant l'adoption desdites lois ou lois-cadres conformément à la procédure législative ordinaire.

3. Toute initiative prise par le Conseil européen sur la base des paragraphes 1 ou 2 est transmise aux parlements nationaux. En cas d'opposition d'un parlement national notifiée dans un délai de six mois après cette transmission, la décision européenne visée aux paragraphes 1 ou 2 n'est pas adoptée. En l'absence d'opposition, le Conseil européen peut adopter ladite décision.

Pour l'adoption des décisions européennes visées aux paragraphes 1 et 2, le Conseil européen statue à l'unanimité, après approbation du Parlement européen, qui se prononce à la majorité des membres qui le composent. "

[21] Voir la passionnante analyse de Laurent Lemasson, diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Paris, titulaire d’un doctorat en Droit Public et Sciences Politiques et chargé de cours à l’Essec, Constitution européenne : l’Europe y trouve-t-elle son compte ? ", document à lire sur le site de l’institut Thomas More : http://www.institut-thomas-more.org/showNews/24. Pour le risque d’extension des pouvoirs des institutions de leur propre initiative et sans l’accord direct des peuples, voir page 10.

[22] Procédure de ratification pour l’entrée d’un nouvel État dans l’UE : Article I-58 : " Critères d'éligibilité et procédure d'adhésion à l'Union : (…) §2. Tout État européen qui souhaite devenir membre de l'Union adresse sa demande au Conseil. Le Parlement européen et les parlements nationaux sont informés de cette demande. Le Conseil statue à l'unanimité après avoir consulté la Commission et après approbation du Parlement européen, qui se prononce à la majorité des membres qui le composent. Les conditions et les modalités de l'admission font l'objet d'un accord entre les États membres et l'État candidat. Cet accord est soumis par tous les États contractants à ratification, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives. " Ces derniers mots font dépendre du droit national la procédure de ratification de l’entrée d’un nouveau membre.

En février 2005, le Parlement français, réunis en Congrès, a changé la Constitution française pour que cette ratification soit forcément soumise au référendum : article 2 de la loi de révision : " I. — Le titre XV de la Constitution est complété par un article 88-5 ainsi rédigé : "Art. 88-5. — Tout projet de loi autorisant la ratification d’un traité relatif à l’adhésion d’un État à l’Union européenne et aux Communautés européennes est soumis au référendum par le Président de la République." "  Quand le texte précise " est soumis ", c’est obligatoire (en droit, l’indicatif vaut impératif).

[23] Je renvoie encore à la lecture de l’excellent article de Laurent Lemasson, page 5 :

http://www.institut-thomas-more.org/showNews/24

[24] Exclusivité de l’initiative des lois pour l’exécutif : article I-26 : " (…) §2. Un acte législatif de l'Union ne peut être adopté que sur proposition de la Commission, sauf dans les cas où la Constitution en dispose autrement. Les autres actes sont adoptés sur proposition de la Commission lorsque la Constitution le prévoit. " 

[25] Domaines exclusifs, où l’exécutif peut légiférer seul : art. I-34, §2 : " Dans les cas spécifiques prévus par la Constitution, les lois et lois-cadres européennes sont adoptées par le Parlement européen avec la participation du Conseil ou par celui-ci avec la participation du Parlement européen, conformément à des procédures législatives spéciales." ici non plus, apparemment, pas de liste des "domaines réservés à l’exécutif-législateur" (Montesquieu souffre sans doute dans sa tombe que cet assemblage de mots existe encore), donc : il faut partir à la pêche dans les 850 pages pour trouver les articles qui prévoient une procédure législative spéciale…

Ces domaines étant en quelque sorte une zone franche de contrôle parlementaire, on aimerait pourtant savoir simplement quelles sont les matières concernées.

Ne trouvant pas ce que je cherchais dans mes 852 pages du texte original, j’ai trouvé les explications suivantes sur http://www.legrandsoir.info/article.php3?id_article=2157 : " Les 21 domaines dont le Parlement est exclu et où le Conseil des ministres décide seul sont d’une importance décisive : le marché intérieur, l’essentiel de la Politique Agricole Commune, le Tarif Douanier Commun, la Politique Étrangère et de Sécurité Commune, la politique économique, la politique sociale, la fiscalité... ".

Interrogé sur les sources de cette affirmation, l'auteur Jean-Jacques Chavigné m’a rapidement donné les n° d’articles précis en commentant : " il ne sera jamais écrit noir sur blanc que le Parlement est exclu de la décision. Il faudra comprendre qu’il est exclu lorsqu’un article de la Constitution précisera que c’est le Conseil qui décide et/ou que le Parlement sera simplement consulté. (JJC) "

Opacité incroyable du texte suprême qui devrait pourtant être absolument clair, on comprend bien ici pourquoi.

JJC continue : " Voilà donc les domaines (ou les parties de domaine) les plus importants où le Conseil décide seul et où le Parlement n’est pas co-décideur : (JJC jusqu’à la fin de la note 16) "

Politique Étrangère et de Sécurité Commune :

Article III-295 : Alinéa 1 : " Le Conseil européen définit les orientations générales de la politique étrangère et de sécurité commune, y compris pour les questions ayant des implications en matière de défense ".

Article III-300, Alinéa 1 : " Les décisions européennes visées au présent chapitre sont adoptées par le Conseil statuant à l’unanimité ".

Alinéa 2 : " Par dérogation au paragraphe 1, le Conseil statue à la majorité qualifiée ".

Le rôle du Parlement est défini à l’article III-304 : Alinéa 1 : " Le ministre des affaires étrangères de l’Union consulte et informe le Parlement européen… "

Alinéa 2 : " Le Parlement européen peut adresser des questions ou formuler des recommandations… "

Marché intérieur : Article III-130-3 :

" Le Conseil, sur proposition de la Commission adopte les règlements ou décisions européens… "

Tarif Douanier Commun : Article III-151-5 : " Le Conseil sur proposition de la Commission adopte les règlements ou décisions européens qui fixent les droits du tarif douanier commun ".

Concurrence : Article III-163 : Le Conseil, sur proposition de la Commission, adopte les règlements européens pour l'application des principes fixés aux articles III-161 et III-162 [règles de concurrence]. Il statue après consultation du Parlement européen. "

Politique Agricole Commune : Article III-231 : Alinéa 2 : " La loi ou loi-cadre européenne établit l’organisation commune des marchés… "

L’expression " Loi-cadre européenne ", sans autre précision, signifie que la procédure législative ordinaire, définie à l’article III-396 s’applique. Il s’agit alors d’une co-décision du Conseil et du Parlement européen. Ce qui est un progrès par rapport aux traités précédents.

Mais :

Alinéa 3 : " Le Conseil sur proposition de la Commission adopte les règlements ou décisions européens relatifs à la fixation des prix, des prélèvements, des aides et des limitations quantitatives… ". Le Conseil décide donc seul, sur proposition de la Commission, des prix, des aides, des quotas…

Fiscalité : Article III-171 : " Une loi-cadre européenne du Conseil établit les mesures concernant l’harmonisation des législations relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires, aux droits d’accises et autres impôts indirects, pour autant que cette harmonisation soit nécessaire pour assurer l’établissement ou le fonctionnement du marché intérieur et éviter des distorsions de concurrence. Le Conseil statue à l’unanimité, après consultation du Parlement européen et du Comité économique et social ".

Social :

Il faut distinguer trois niveaux :

1er niveau : domaine de co-décision :

Article III-210-1 :

A- L’amélioration du milieu de travail…

B- Les conditions de travail.

E- L’information et la consultation des travailleurs.

H- l’intégration des personnes exclues du marché du travail

I- L’égalité entre hommes et femmes.

J- La lutte contre l’exclusion sociale

K- La modernisation des systèmes de protection sociale, sans préjudice du point c.

2e niveau : le Conseil décide seul :

Article III-210-3 : " … dans les domaines visés au paragraphe 1, point c, d, f et g, la loi ou loi-cadre européenne est adoptée par le Conseil statuant à l’unanimité, après consultation du Parlement européen… "

C- la sécurité sociale et la protection sociale des travailleurs.

D- La protection des travailleurs en cas de résiliation du contrat de travail.

F- La représentation et la défense collective des intérêts des travailleurs et des employeurs y compris la cogestion, sous réserve du  paragraphe 6.

G- Les conditions d’emploi des ressortissants de pays tiers se trouvant en séjour régulier sur le territoire de l’Union.

3e niveau : l’Union (que ce soit le Conseil seul ou le Parlement avec le Conseil) n’est pas compétente :

Article III-210-6 :

" Le présent article ne s’applique ni aux rémunérations, ni au droit d’association, ni au droit de grève, ni au lock-out… "

Ce qui rend impossible tout Smic européen.

Ce qui vide de son contenu l’article II-210-3-f.

Ce qui vide de son contenu l’article II-88 : le droit de grève ne pourra être imposé par l’Union à un Etat-membre qui ne le prévoirait pas ou le retirait de sa législation. Ce qui a l’avantage de ne pas, non plus, imposer le " lock out " à une législation nationale qui (telle la législation française) ne le reconnaîtrait pas. (JJC)

[26] Laurent Lemasson, diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Paris, titulaire d’un doctorat en Droit Public et Sciences Politiques et chargé de cours à l’Essec, Constitution européenne : l’Europe y trouve-t-elle son compte ? ", document à lire sur le site de l’institut Thomas More :

http://www.institut-thomas-more.org/showNews/24.

[27] Seule la Commission peut être renversée par le Parlement, en bloc : Article I-26, §8 : " La Commission, en tant que collège, est responsable devant le Parlement européen. Le Parlement européen peut adopter une motion de censure de la Commission conformément à l'article III-340. Si une telle motion est adoptée, les membres de la Commission doivent démissionner collectivement de leurs fonctions et le ministre des Affaires étrangères de l'Union doit démissionner des fonctions qu'il exerce au sein de la Commission. ",

Article III-340 : " (…) Si la motion de censure est adoptée à la majorité des deux tiers des suffrages exprimés et à la majorité des membres qui composent le Parlement européen, les membres de la Commission doivent démissionner collectivement de leurs fonctions et le ministre des Affaires étrangères de l'Union doit démissionner des fonctions qu'il exerce au sein de la Commission. "

Un commissaire peut être " démissionné " par le président de la Commission (lui-même élu par le Parlement) : art. 1-27, dernier § : " Un membre de la Commission présente sa démission si le président le lui demande. "

Mais ni le Conseil des ministres, ni le Conseil européen, ne sont responsables devant personne.

Le Conseil nomme les membres de la Commission (art.1-27 §2), seul le Président de la Commission est élu par le Parlement (art. 1-27 §1) sur proposition du Conseil européen. Ce n’est pas le parlement qui choisit le Président. Le parlement n’est pas responsable non plus : personne ne peut le dissoudre.

[28] Yves Salesse, membre du Conseil d’État, Manifeste pour une autre Europe ", pages 36 et s. :

Le pouvoir de la Commission est surestimé. En droit comme en fait, ce pouvoir est fondamentalement détenu par le Conseil des Ministres. (…) La Commission n’est pas dépourvue de pouvoir, mais elle est subordonnée au premier. Elle est composée de politiques et de fonctionnaires des États qui n’ont pas rompu avec ceux-ci. (…) Ainsi, non seulement le pouvoir de la Commission est subordonné, mais la tendance n’est pas à son renforcement. Elle est au contraire au développement de l’emprise des États.

Lorsqu’ils prétendent avoir été surpris par une décision, ils mentent. La méconnaissance du pouvoir des États a des conséquences politiques. Elle exonère les gouvernements de leur responsabilité dans les décisions européennes. Ils sont les premiers à propager : " Ce n’est pas nous, c’est Bruxelles. "

[29] Voir de bonnes explications sur l’AGCS sur le site www.urfig.org (RM Jennar).

[30] Voir le détail de l’humiliation infligée par Pascal Lamy aux parlementaires qui voulaient consulter les documents préparatoires pour l’AGCS dans le livre passionnant de Raoul Marc Jennar, " Europe, la trahison des élites ", pages 64 et s., et notamment 70 et 71.

Voir aussi un passionnant article de Jennar intitulé " Combien de temps encore Pascal Lamy ? ", à propos des deux accords AGCS et ADPIC : http://politique.eu.org/archives/2004/04/11.html.

[31] Noëlle Lenoir, alors ministre française déléguée aux affaires européennes du gouvernement Raffarin, a déclaré : " il suffira de rassembler un million de signatures en Europe pour obliger la Commission à engager une procédure législative " (Le Monde, 30 octobre 2003).

[32] Droit de pétition : art. I-47, §4 : Des citoyens de l'Union, au nombre d'un million au moins, ressortissants d'un nombre significatif d'États membres, peuvent prendre l'initiative d'inviter la Commission, dans le cadre de ses attributions, à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu'un acte juridique de l'Union est nécessaire aux fins de l'application de la Constitution. La loi européenne arrête les dispositions relatives aux procédures et conditions requises pour la présentation d'une telle initiative citoyenne, y compris le nombre minimum d'États membres dont les citoyens qui la présentent doivent provenir. "  On est à mille lieues du référendum d’initiative populaire suisse qu’on fait miroiter aux électeurs.

[33] Sur ce qu’on peut reprocher à la convention " Giscard ", lire l’analyse de Robert Joumard, page 13 et s.,  voir aussi celle de Christian Darlot. Voir aussi Paul Alliès (professeur en sciences Politiques à l’Université Montpellier I), " Une Constitution contre la démocratie ? ", p. 38 et s.

[34] Lire à ce propos la position de Pervenche Berès, membre de la convention Giscard, coauteur du texte donc, qui renie pourtant le résultat final tant il a été défiguré par les gouvernements dans l’année qui a suivi, et qui appelle finalement à " Dire "non" pour sauver l'Europe " : http://www.ouisocialiste.net/IMG/pdf/beresMonde290904.pdf.

[35] Planning des ratifications :

Pays qui ne soumettent pas le traité à leur peuple : Lituanie (11 décembre 2004), Hongrie (20 décembre 2004), Italie (25 janvier 2005), Slovénie (1er février 2005), Allemagne (12 mai 2005), Slovaquie (mai 2005), Chypre (mai 2005), Autriche (printemps 2005), Belgique (printemps 2005), Grèce (printemps 2005), Malte (juillet 2005), Suède (décembre 2005 et pourtant 58 % des suédois réclament un référendum), Estonie (2005), Finlande (fin 2005), Lettonie (?).

Pays qui ont opté pour le référendum : Espagne (20 février 2005), Pays-Bas (1er juin 2005), France (29 mai 2005), Luxembourg (10 juillet 2005), Danemark (27 septembre 2005), Portugal (octobre 2005), Pologne (fin 2005), Royaume-Uni (printemps 2006), République tchèque (juin 2006), Irlande (2006).

[36] RM Jennar à raison : il faut réaffirmer nos fondamentaux et rappeler ce que proclamait, le 26 juin 1793, l’article 35 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de l’an I : Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ". (" Europe, la trahison… ", p. 218).

[37] Selon la célèbre formule de Lacordaire : "Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit". Chacun peut prévoir ce qu’il adviendra avec des renards libres dans un poulailler libre. Les charmes de la liberté débridée sont une fable, une imposture.

[38] Lire les analyses du site Acrimed sur la partialité des médias sur cette affaire :

http://www.acrimed.org/article1950.html.

Lire aussi l’article de Bernard Cassen dans Le Monde diplomatique : " Débat truqué sur le traité constitutionnel " : http://www.monde-diplomatique.fr/2005/02/CASSEN/11908

Note de Parole de Vie :

Cet article, écrit par un professeur qui ne se pose pas en Chrétien, mais en citoyen honnête et responsable, nous semble poser les vrais problèmes. Ce projet de Constitution contribue à développer, au niveau Européen, le pouvoir d'organes exécutifs largement irresponsables (Conseil et Commission), au détriment de celui des organes élus (Parlement).

Ce projet, suffisamment touffu et complexe pour ne pas être étudié sérieusement par une majorité d'électeurs, vise à faire approuver par le peuple l'instrument de sa propre servitude future ! Ce texte est donc objectivement dangereux et mauvais, car il ne nous protège pas de l'arbitraire.

Mais nous ne nous faisons pas d'illusions. Même si ce texte avait été bon, démocratique et juste, le futur dictateur mondial, qui doit venir bientôt, l'aurait cependant utilisé pour prendre le pouvoir, puis l'aurait supprimé à la première occasion, sous les prétextes les plus grossiers. Il suffit de voir ce qui se passe en ce moment aux Etats-Unis, où la Constitution démocratique est mise à mal par les "ordres exécutifs" pris par un Président muni de pouvoirs dictatoriaux exceptionnels, sous prétexte de "terrorisme mondial" et de "situation d'urgence".

Nous savons que nous sommes à la fin des temps, et que la Malin, qui règne sur ce monde, prépare actiivement la manifestagtion de son Antichrist. Celui-ci règnera despotiquement et sans partage, non seulement sur l'Union Européenne, mais aussi sur le monde entier. Il utilisera sans doute habilement le vote populaire pour se faire plébisciter, comme Hitler dans l'Allemagne d'avant-guerre. Une fois au pouvoir, il éliminera toute source d'opposition, et opprimera affreusement tous ceux qu'il considèrera comme ses adversaires, Chrétiens et Juifs en tête.

Nous ne voulons pas faire ici de politique. Notre royaume, en tant que Chrétiens, n'est pas de ce monde. Nous ne voulons donc donner aucune consigne de vote. Mais nous insistons sur la nécessité de prier pour connaître la volonté de Dieu en ce qui nous concerne :

Voter non, ou s'abstenir, ne fera que faire reculer l'échéance inéluctable. La France ne pourra rester isolée de ce qui se prépare en Europe. Car nous pensons même qu'elle est destinée à jouer un rôle important dans les événements de la fin et la manifestation de l'Antichrist.

Il est clair que nous ne pouvons pas nous opposer à ce que la Parole de Dieu nous annonce. Nous ne pouvons que prier que tout se déroule conformément à la volonté parfaite de Dieu. Le même Saint-Esprit peut donc très bien inspirer à certains de Ses enfants de voter oui, à d'autres de voter non, et à d'autres encore de s'abstenir, afin que cette volonté de Dieu s'accomplisse ! Puissions-nous donc voter, ou ne pas voter, en pleine connaissance de la volonté de Dieu pour nous, avec une pleine conviction, et dans la paix de l'esprit !

N'oublions pas que l'essentiel, pour nous, est de nous sanctifier et de nous préparer à la venue prochaine du Seigneur Jésus-Christ, qui nous enlèvera de ce présent monde mauvais qu'Il va juger, pour nous faire pleinement rentrer dans un Royaume où règne pour toujours Sa justice ! C'est lui qui aura le dernier mot !

"A la loi et au témoignage ! Si l'on ne parle pas ainsi, il n'y aura point d'aurore pour le peuple !" (Esaïe 8 :20). Retournons donc à la Loi de Dieu, à Sa Parole, et mettons-la en pratique dans notre témoignage, en esprit et en vérité ! Nous verrons alors pointer la véritable aurore, qui n'est certainement pas à rechercher dans la nouvelle constitution européenne !