A203. Un témoin et un témoignage.

Article de T. Austin-Sparks.

"Je ne l'ai reçu ni appris d'aucun homme, mais je l'ai reçu par une révélation de Jésus-Christ" (Galates 1,12.) C'est au travers d'expériences profondes et douloureuses que le Fils de Dieu s'est révélé en nous, dans la plus grande plénitude de tout ce qu'Il est ; et nous pouvons dire que chaque nouveau rayon de lumière vivante est né d'une expérience pénible et amère. Nous voulons qu'il en soit ainsi, car s'il y a une chose dont nous désirons être préservés, c'est que notre enseignement cesse d'être en relation vitale avec notre propre expérience. Que Dieu nous garde d’en arriver jamais à la place où nous n'aurions plus qu'un simple "enseignement" !

Nous ne désirons pas que notre connaissance de la vérité dépasse notre expérience vivante. C'est un axiome ou un principe établi, que les valeurs éternelles et spirituelles ne peuvent être apportées en vie que dans la mesure où elles sont une puissance vivante de salut, en ceux qui les présentent. Nous ne pouvons consoler les autres que par la consolation que nous avons reçue nous-mêmes de Dieu. Les autres ne peuvent réellement être aidés que par ce qui a été puissance de vie en celui qui désire aider. L'information, bien qu'elle soit correcte et orthodoxe, bien qu'elle soit fortement ancrée dans nos convictions et passée aux autres avec passion, l'information, par elle-même, manquera de la qualité essentielle et de la valeur indispensable à une constitution spirituelle. C'est pourquoi la voie de Dieu a toujours consisté à lever un instrument, qu'il soit personnel ou corporatif, en lequel Son message aura été incrusté par l'épreuve du feu. Non seulement le messager doit avoir le message en lui, mais il doit être dans le message : non seulement en pensée et en sentiment, mais en vie et en expérience.

Puisque c'est la voie de la vie, nous suivrons, en exposant la nature et le contenu de ce ministère, le cours de notre propre histoire et de notre croissance spirituelles, plutôt que de faire, de la position où nous sommes maintenant, un retour en arrière. Les livres divers qui ont vu le jour durant ces années, n'ont été que l'expression de la révélation progressive qui, sous les aspects divers, s'est faite dans notre cœur ; ils renferment l'histoire de l'action de Dieu en nous, en révélation et en expérience. Ils n'auront de valeur pour les enfants de Dieu que dans la mesure où ils toucheront au point de l'expérience et du besoin, pour lesquels ils ont été écrits. Là où il n'y aura pas conscience d'un besoin pareil, ce message ne sera pas autre chose que des mots.

Personne ne pensera que nous regardions ce qui va suivre comme une révélation spéciale, ni que nous considérions notre expérience comme unique. Rien de ce que nous pourrons développer ne sera nouveau en soi, et tout pourra se trouver ailleurs aussi. Ce sera nouveau seulement dans la mesure où les choses seront nouvelles pour ceux qu'elles toucheront, en leur arrivant avec toute la force d'une révélation, bien que d'autres pourront les avoir vues depuis longtemps. Ce ne sont pas les choses en elles-mêmes qui constituent ce ministère, mais la puissance et 1a vie avec lesquelles elles nous pénètrent, comme par révélation. C’est pourquoi personne ne s'attendra à trouver ici une nouvelle révélation. En nous servant du pluriel "nous", nous pensons à la compagnie de ceux, ici même ou dispersés ailleurs, desquels nous savons que ces expériences sont réelles. Ce fut après des années d'enseignement biblique, de ministère évangélique, d'entreprises missionnaires et d'activités chrétiennes diverses, que le Seigneur nous a amenés, dans Sa propre voie effective, à voir comme nous ne l'avions encore jamais vue,

La Signification plus pleine de la Croix

Ce fut le premier pas dans une vie entièrement nouvelle, et vécue sous un ciel ouvert. Comme nous en arrivâmes à le comprendre dans la suite, la Croix, ou son prototype, l'Autel, a toujours été pour Dieu le nouveau point de départ pour la réalisation de toute Sa pensée. Le point de départ, avons-nous dit ; car le Calvaire n'est pas une fin en soi ; il est le commencement de tout. Quant à la valeur objective de la Croix, il n'y eut besoin d'aucun ajustement. Les grandes valeurs de l'Agneau immolé liées au premier stage ou à la première phase de l'expérience chrétienne, avaient été acceptées, Dieu en soit béni. La délivrance du jugement qui pesait sur le monde, la délivrance de la condamnation et de la mort, la délivrance de la tyrannie ou de l'esclavage d'une mauvaise conscience, tout cela en vertu de la justice obtenue par la foi en Lui, Le Juste, qui s'est offert à Dieu, Lui-même, sans tache, pour nous ; c'est là que nous en étions par Sa grâce. Ce que Christ, par Sa Croix, a été et est pour nous, telle était la base et l'ancre de notre salut. La conception et la possession de toute cette grâce n'ont jamais cessé de grandir, et elles sont aujourd'hui plus profondes, plus pleines et plus fortes que jamais.

Bien plus, nous savons parfaitement bien que cette position fondamentale est un des objets de l'assaut continuel et de l'antagonisme cruel de Satan. Et cela sera vrai jusqu'à la fin. Satan sait très bien que tout le reste est compromis et anéanti, s'il réussit à ébranler la position d'un croyant, quant à ce que Christ est pour lui.

Qui pourrait être utile à Dieu et aux hommes, dans les valeurs éternelles, s'il n'a la certitude d'être accepté dans le Bien-Aimé ? Qui pourrait avoir une valeur spirituelle, dans n'importe quel domaine, s'il n'a l'assurance inébranlable d'être, en Jésus-Christ, regardé comme juste, malgré ce qu'il est en lui-même ? Tous les traits enflammés du Malin pénétreront son cœur, s'il ne saisit pas fermement cette cuirasse de la justice et le bouclier de cette foi. Oui, la signification objective du Calvaire - Christ crucifié - est d'une importance inexprimable ; et nous ne pouvons cesser de garder cela en pleine lumière et de nous en pénétrer.

Mais, alors même que nous avons compris cette valeur objective de la Croix, et que nous l’avons bien établie, elle ne peut cependant que s'appliquer à notre délivrance de l'Egypte. Car nous le voyons, tout ce que nous avons dit et rappelé jusqu'ici est lié à l'acte par lequel nous avons été transportés (ou nous avons passé) de la puissance des ténèbres dans le Royaume du Fils de l'amour de Dieu. C'était une chose suprême que celle qui s'était passée en Egypte, en vertu de l'Agneau immolé et du sang versé et répandu, et il y a en elle des éléments et des valeurs éternelles. Mais il fallait encore quelque chose de beaucoup plus grand. Tandis qu'un esclavage extérieur était détruit, celui qui nous entraînait dans la condamnation du monde, il restait cependant encore un esclavage intérieur. Israël, dans le désert, représente la domination de la vie naturelle, de la vie du "moi", de "la chair". C'est le peuple de Dieu, oui ! Ce sont les rachetés, oui ! Ils sont dans le Royaume, oui ! Ils sont les héritiers de la promesse, oui.

Mais ils sont incapables d'avancer ; inefficaces, stériles, instables, inquiets, toujours à la merci de la vie des sens, ils vont parfois même jusqu'à penser à retourner en Egypte pour être mieux. C'est un état étrangement contradictoire en ceux qui, dans de meilleurs moments, sont si sûrs d'avoir été rachetés par Dieu ! Cette vie du désert représente pour eux une grande dépense d'énergie, beaucoup de laborieux efforts, beaucoup de désirs et d'aspirations, beaucoup de service, et de dévotion, et d'activité religieuse, mais tout cela pour ne jamais arriver à rien ; c'est comme un vaste cercle, dans lequel ils se retrouvent en fait toujours au point d'où ils étaient partis. Nous en étions à un point comme celui-là, lorsque la signification plus pleine de la Croix nous fut révélée au sein de notre désespoir.

C'est dans la nature des choses ; nous n'apprenons jamais rien, de manière vitale, par la simple voie de l'information. Nous n'entrons réellement dans la valeur d'une chose qu'en désespérant de tout le reste. Le Seigneur doit donc avoir beaucoup de patience pour constituer une histoire spirituelle. Lorsque nos yeux finissent par s'ouvrir, nous nous écrions : Oh ! pourquoi ne l'ai-je pas vu plus tôt ! Mais il fallait que tout ait été épuisé, pour que nous puissions réellement recevoir une révélation ; et cela demande du temps.

Il en fut ainsi lorsque, dans cette heure sombre, nous ouvrîmes l'épître aux Romains, au chapitre six, et que l'Interprète, comme s'Il parlait à voix haute et intelligible, nous dit : "Lorsque Je mourus, tu mourus. Lorsque Je montai sur la Croix, Je pris non tes péchés, mais Je te pris, toi. Lorsque Je te pris, Je te pris non seulement comme le pécheur que tu savais être, mais Je te pris en tout ce que tu es par nature ; ce qu'il y a de bon (?) en toi, comme ce qui est mauvais ; tes talents aussi bien que tes défauts ; oui, chacune de tes propres ressources. Je t'ai pris, en tant que "serviteur", "prédicateur", "organisateur" ! Ma Croix signifie que tu ne peux être ni faire rien par toi-même, non, même si tu le faisais pour Moi ; mais si quelque chose doit être fait, tout doit être et venir de Moi ; et cela signifie une vie de foi et de dépendance absolue." Une telle révélation demande, pour être une chose foudroyante et écrasante qui aille jusqu'à ne nous laisser aucune force, oui, - demande un arrière-plan de beaucoup de vains efforts. Mais alors, elle aura une grande implication. Tandis qu'une fin est écrite en grands caractères dans la Croix, et que cette fin doit être acceptée en vérité comme notre fin, de sorte qu'il ne puisse plus y avoir rien, comme venant de nous-mêmes ; cependant Jésus vit ! Et cela signifie des possibilités illimitées.

C’est ainsi que nous sommes arrivés à voir que la Mer Rouge et le Jourdain ne sont que les deux côtés de la même Croix. Ils symbolisent, tous les deux, la mort et la résurrection spirituelles du croyant ; mais le Jourdain place cette expérience dans un autre domaine. Le Jourdain voit la délivrance du péché, de la mort et de la condamnation poussée jusqu'à la délivrance du "moi" ; il est la séparation pratique entre ce qui est mort et ce qui est ressuscité.

Dans la Mer Rouge, ce sont mes péchés ; dans le Jourdain, c'est mon "moi". Au passage du Jourdain, un monument de douze pierres, un type des Israélites eux-mêmes, fut laissé enseveli dans le lit du fleuve, cela devant signifier que leur vie propre du désert devait être désormais reconnue comme jugée et finie, aussi absolument que leur asservissement à Pharaon. Ensuite un autre monument commémoratif, fait de douze pierres tirées du lit du fleuve, fut érigé sur la rive de Canaan, comme un symbole d'eux-mêmes, non seulement ressuscités en nouveauté de vie, mais aussi dans une séparation perpétuelle et pratique d'avec leur "moi" mort et enseveli. Tout cela était accompli par leur union avec Christ crucifié et ressuscité ; car les prêtres se tenaient au milieu du fleuve, portant sur leurs épaules l’Arche avec son propitiatoire taché de sang, le type de Christ dans Sa mort, triomphant cependant sur la mort en vertu de Son Sang ; or, 1e premier monument de pierres fut laissé à la place exacte où s'étaient posés les pieds des prêtres.

Israël selon la chair dans le désert, et Israël selon l'Esprit en Canaan, bien qu'ayant connu tous deux la bénédiction du salut et la délivrance du jugement, sont cependant comme deux peuples différents. I1 en est de même pour nous. La différence est indiciblement grande. Quelqu'un de prééminent dans l’œuvre chrétienne, et durant de nombreuses années, a décrit cette différence, lorsque enfin il la connut, comme plus grande même que celle qu'avait apporté dans sa vie le salut, quand il l'avait reçu pour la première fois, - et cette différence avait alors été grande ! Nous ne chercherons pas à établir toutes les différences ; mais une phrase en a toujours été l'expression parfaite : "Un ciel ouvert." Combien la vie naturelle fait obstacle à la vie de l'Esprit ! Combien en faisant, ou en voulant faire, l’œuvre de Dieu dans notre propre énergie naturelle, nous obstruons la voie pour les énergies de l'Esprit ! Combien les efforts mentaux et les travaux intellectuels que nous faisons pour saisir une vérité spirituelle, ferment la porte pour une révélation par l'Esprit ! Oui, nous en savons quelque chose ; mais, Dieu soit béni, nous connaissons aussi ce que signifie la "mise de côté de cet homme naturel", et Christ prenant sa place, dans Sa plénitude de résurrection et d'ascension.

Il y a une double tragédie, liée à cette signification subjective ou expérimentale de la Croix. D'un côté, c'est l'ignorance de tant d'enfants de Dieu, qui les conduit, ou aboutit à une histoire de désert, dans leur vie et leur service ; une somme énorme d'énergie, de sacrifices, d'efforts, de fatigues, avec des résultats spirituels si peu proportionnés et si peu correspondants. Le désert est toujours un lieu limité, borné par l'horizon des sens, et il ne sera jamais caractérisé par la réalisation des plénitudes illimitées que donne l'affranchissement céleste de notre propre nature. D'un autre côté, la tragédie, c'est que cette signification, ou cette application de la Croix, sont définitivement et positivement refusées par un si grand nombre d'enfants de Dieu. Il y a beaucoup de Chrétiens qui ne veulent simplement pas accepter la Croix, dans son côté subjectif ou expérimental. Cela, tout en nous surprenant, explique beaucoup de choses. Tout doit alors s'arrêter infailliblement à un système légal d'enseignement, à un horizon de vision fixe, à un esclavage étroit de la tradition, à une crainte des hommes, à une domination oppressante de la "lettre", séparée de l'Esprit, et à beaucoup d'autres situations tristes, à la mort spirituelle, aux divisions sans fin, et à l'orgueil spirituel, lorsque l'homme naturel, - non pas nécessairement l'homme non régénéré, - exerce une influence dans le royaume des choses divines.

Le remède contre le traditionalisme et le légalisme, c'était pour Paul, en ce qui concerne les Chrétiens, Christ crucifié, ce que nous montrent les épîtres aux Romains et aux Galates. Le même remède était aussi appliqué contre tous les fruits douloureux de "la chair" qui se manifestent parmi les croyants, ce que nous voyons dans l'épître aux Corinthiens. Peut-être le refus de cette application de la Croix est-il dû à une certaine crainte d'une subjectivité trop grande, c'est-à-dire du danger qu'il y a pour les croyants à se concentrer trop sur eux-mêmes. Il est vrai que l'introspection est un signe de faiblesse, et qu'elle peut conduire à une certaine paralysie. Elle peut en vérité engendrer beaucoup de choses mauvaises ; mais l'introspection est une fausse compréhension de la Croix.

I1 serait réellement périlleux et dangereux "d'accepter" un tel "enseignement", avant d'être fixé et établi dans cet aspect objectif, qui règle une fois pour toutes cette question de "toute justice" et de notre acceptation en Christ, par la foi en Ses perfections, qui sont à nous. Non, Israël en Canaan ne représente point une préoccupation personnelle et introspective, ni un souci morbide de savoir jusqu'où il faut encore, personnellement, être crucifié. Les Israélites étaient libres, et libres pour s'occuper des affaires du Seigneur. Dans l'expérience de la Croix, le Jourdain qui introduit, comme il le fait, l'aspect de la Mer Rouge jusque dans le domaine de la vie du "moi", signifie la libération de soi-même ; et ce ne serait qu'être en contradiction avec la croix, que de rester préoccupé de sa propre crucifixion.

Mais l'expérience du "Jourdain" est une crise profonde, dont l'application se continue, et dont l’œuvre s'accomplit progressivement. La crise, c'est comme le toucher à l'articulation de la hanche de Jacob. La force naturelle est paralysée de façon définitive et permanente, de sorte que "Jacob" portera cette marque jusqu'à la fin de ses jours, et il restera "appuyé sur le haut de son bâton." L'action progressive consistera à nous faire découvrir tout ce que nous ne pouvons pas faire, ce qu'il ne nous est pas permis de faire, par nous-mêmes, à cause de cette interdiction fondamentale de la Croix. Cela peut nous conduire aussi loin que Paul qui, dans une expérience incomparable, déclare : "Nous avons été excessivement accablés, au-delà même de nos forces, au point que nous désespérions de conserver la vie ("désespérions" signifie ici :"il semblait n'y avoir aucune issue pour la vie"). Bien plus, nous avions prononcé en nous-mêmes notre arrêt de mort, ne voulant pas mettre notre confiance en nous, mais en Dieu qui ressuscite les morts." 2 Corinthiens 1, 8-9.

L'action de la Croix est ici une question à la fois subjective et objective ; elle ne s'accomplit pas en raison de notre attitude ou de notre acceptation, mais plutôt en raison de la plénitude de Christ. C'est à cause de l'importance de cette crise et de ce chemin pour les Chrétiens, que l'on a souvent présenté la Croix sous un faux jour, qui a presque ramené les croyants à l'esclavage de l'Egypte. Si le Seigneur nous amène au désespoir de Kadès-Barnéa, et qu'Il nous montre ensuite "Romains 6" ou "Galates 2,20", il ne nous reste qu'à capituler et à accepter notre position avec Christ dans Sa mort, pour nous-mêmes, comme nous l'avons fait pour nos péchés, à avoir une attitude de foi envers le Seigneur, et à croire, avant tout, qu'en Lui, notre mort est un fait accompli, que nous le réalisions immédiatement ou non. Il nous conduira ensuite par le chemin qui nous révélera ce qu'est notre nouvelle position, et ce qu'elle implique. Nous découvrirons inévitablement que "la mort" entraîne beaucoup plus de choses que nous ne l'avions imaginé, mais, dans notre nouvelle position, nous aurons le pouvoir de consentir à ce qu'elle signifie.

Nous l’avons dit, cette expérience du Jourdain est, dans l’œuvre de la Croix, une crise, et quelle crise ! Ce n'est pas seulement la fin d'un royaume, c'est l'entrée dans un autre, et le commencement d'un nouveau royaume. Il en a été pour nous de même que pour Israël. Nous sommes entrés par cette expérience, dans une vaste étendue de vie, de lumière et de liberté spirituelle ; mais bientôt plusieurs choses majeures ont été en vue. La première fut naturellement :

La Vie dans l'Esprit

Nous ne voulons pas dire qu’il n’y ait eu auparavant aucune connaissance ni aucune expérience de l'Esprit. Comme Israël, c'était par la Colonne de Nuée et de Feu que nous avions été délivrés de l'Egypte et guidés dans le désert ; nous avions ainsi connu cette souveraineté et cette grâce. Mais le Jourdain marqua un développement dans cette expérience. Josué reste à jamais un type des énergies du Saint-Esprit, en relation avec la pensée tout entière de Dieu. Ces énergies s’opposèrent aux efforts propres, pauvres et stériles de l’âme humaine.

Cela eut pour nous une signification subjective définitive ; l'épée ou le couteau de l'Esprit trancha et "atteignit jusqu'à la division de l'âme et de l'esprit". Nous en arrivâmes alors à reconnaître le fait que l’âme est une chose, et que l'esprit en est une autre, et que c'est par le moyen de ce dernier que le Saint-Esprit accomplit tous les desseins de Dieu. L'âme, c'est nous-mêmes, en intelligence, volonté, sentiment et énergie. Ce n'est pas dans notre âme, ni en nous-mêmes, que demeure le Saint-Esprit, mais dans notre esprit ; et notre esprit renouvelé et rempli du Saint-Esprit devient l'organe de la connaissance, de la pensée et de la puissance divines. La vie dans l'Esprit n'est possible que dans la mesure où est faite cette distinction.

Nous avons étudié à fond cette distinction dans un livre intitulé "Qu'est-ce que l'homme ?" (qui n'a pas encore paru en français), et nous nous bornerons ici à indiquer les pas de cette marche spirituelle. Cette vie dans l'Esprit signifie donc un nouveau royaume de connaissance et de compréhension spirituelles, qui est très souvent fermé à des Chrétiens eux-mêmes, s'ils n'ont pas connu la signification de leur union avec Christ, dans Sa mort et Sa résurrection, en ce qui concerne l'homme naturel, l'homme dans sa constitution naturelle. Ils peuvent avoir l'information donnée par les Ecritures sur toutes ces questions, et même les enseigner ; c'est ce que nous avions fait ; mais il y a toute une différence de vie et de mort entre cela, et une position dans l'expérience vécue et vivante de la vérité. La vie dans l'Esprit signifie donc une autre vie, une autre connaissance, une autre énergie, une autre intelligence.

Ensuite, et jaillissant de ces traits essentiels de la nouvelle sphère, le fait que cette vie était désormais vécue dans les lieux célestes fut très rapidement compris ; et il n'y avait en cela rien d'abstrait ni de mystique.

Cela devait nous amener aux résultats les plus pratiques. Encore une fois, l'histoire d'Israël était en voie de se répéter, spirituellement. Il y avait eu un développement pour le peuple, et pour Josué lui-même. Il est vrai que Josué représentait, et continua à représenter, les énergies du Saint-Esprit, mais un nouveau fait apparut, comme associé particulièrement avec le nouveau pays. Il est décrit de cette manière : "II arriva, comme Josué était près de Jéricho, qu'il leva les yeux et regarda, et voici, un homme se tenait debout, vis-à-vis de lui, son épée nue à la main. Josué alla vers lui et lui dit : Es-tu des nôtres ou de nos ennemis ? I1 répondit : Non, Je suis le chef de l'armée de l'Eternel ; j'arrive maintenant. Alors Josué tomba la face contre terre, se prosterna et lui dit : Qu'est-ce que mon Seigneur ordonne à son serviteur ? Et le chef de l'armée de l'Eternel dit à Josué : Ote les souliers de tes pieds ; car le lieu où tu te tiens est saint. Et Josué fit ainsi." Josué 5, 13-15.

Le nouveau trait qui est introduit à ce point, c'est celui d'une Autorité Souveraine et Suprême dans les lieux célestes, et en relation avec la guerre spirituelle. "L'armée de l'Eternel", "le Chef" et "l'épée nue" sont des mots très significatifs. Ce qu'ils prouvent, c'est que le Saint-Esprit n'est pas une puissance simplement abstraite ou indépendante, et qu'il ne se présente pas en Son propre nom. II est, avec Ses énergies, relié à une Souveraineté, à un Trône, dont Il est le serviteur. Le Seigneur Jésus a été exalté "à la droite de la majesté, divine, dans les lieux très hauts". Il nous est dit que cette place Lui a été donnée jusqu'à ce que Ses ennemis aient été mis sous Ses pieds, pour Lui servir de marchepied. Toute autorité Lui a été donnée dans les cieux et sur la terre. Les lieux célestes sont occupés par une puissante hiérarchie des forces du Malin qui, par des moyens innombrables, fait la guerre à ce Royaume céleste du Fils de Dieu. La description bien connue que nous en fait Paul est : "Les dominations... les puissances... les princes de ce monde des ténèbres... les esprits mauvais qui sont dans les régions célestes." Ephésiens 6, 12.

C'est précisément en relation avec la destruction et le rejet final de ce système de puissances et d'intelligences mauvaises, que le Saint-Esprit est ici. Lui et le Fils de Dieu sont un en Dieu le Père, et par conséquent en la Personne Divine ; et Il est ici comme Christ, dans cette position de Chef de l'armée de l’Eternel. Il est l'énergie puissante de cette "toute autorité", de ce Trône. C’est à Lui à conduire et à fortifier le peuple de Dieu contre les adversaires spirituels du dessein éternel de Dieu.

Ce fut donc peu après notre arrivée dans la signification plus pleine de la Croix, quant à la vie propre, que jaillit en nous ce grand fait que la vie dans l'Esprit est une vie vécue dans les lieux célestes, que la vie dans les lieux célestes est une vie de souveraineté et de pouvoir, et aussi qu'elle est une vie de guerre. Mais c'est une vie d'autorité spirituelle sur l'ennemi. Or, dans ce Royaume et dans cette œuvre, notre rôle n'est pas simplement d'en appeler au Trône, mais d'agir et de fonctionner comme étant sur le Trône. C'est faire intervenir ce Trône contre l'ennemi, dans ses forteresses et ses stratagèmes.

Lorsque le Seigneur fait pénétrer en nous, de manière vivante, quelque chose de Son ordre céleste, que ce soit pour un commencement ou en vue d'un rétablissement, II le fait avec des preuves si évidentes que la chose est de Lui-même, que nous ne pouvons jamais l'oublier. Pour nous, lorsque cette vérité nous fut révélée, nous vécûmes une période dans laquelle les signes étaient si visibles et si nombreux, que nous demeurions dans un état d'émerveillement. C'était réellement, "si tu décides une chose, elle te réussira". L'intervention du Trône avait été introduite, par la prière, dans toutes sortes de situations où l'ennemi était très définitivement à l'œuvre, et ces situations avaient été dégagées. Nous nous abstiendrons de citer des faits ou de donner des exemples. Ce sont les principes spirituels qui nous intéressent ici. Au cours des années, il y a eu ensuite beaucoup d'éducation spirituelle, et la lutte s'est engagée dans des domaines plus profonds, passant de plus en plus de la surface aux grandes et suprêmes issues spirituelles de vie et de mort, mais la vérité et le principe restent les mêmes. Et nous demeurons là, dans le témoignage positif à la souveraineté absolue de Christ dans tout l'univers, et à notre union avec Lui sur Son Trône.

Mais nous avions à apprendre encore davantage de la pensée divine et, tandis que nous demeurions bien attachés à toute la révélation, le Seigneur nous mit en présence d'une autre question. Chaque nouveau pas comprenait ce qui avait été déjà expérimenté, mais pour le porter plus en avant. La chose suivante, dans les valeurs et les significations de laquelle nous fûmes conduits, fut :

La Nature, la vocation et la destinée célestes de l'Eglise, le Corps de Christ.

Ce que le Seigneur avait accompli en nous par l'œuvre plus profonde de la Croix, avait abouti, à côté d'autres expériences, à un détachement étrange, en esprit, d'avec l'aspect terrestre des choses religieuses.

Nous fûmes élevés spirituellement au-dessus des formes et des systèmes, des titres, des désignations, des dénominations et des ordres du christianisme, qui sont connus ici-bas parmi les hommes ; et notre intérêt s'étendit à "tous les saints" sans distinction. Mais le Seigneur se chargea de nous montrer, de manière positive, la signification de ce qu'Il avait fait. Nous comprîmes plus tard combien tout cela était en accord parfait avec toute Sa Parole. L'Autel conduit toujours à la Maison ; cela indique le fait que le Calvaire conduit à l'Eglise. Il ne peut pas y avoir d'Eglise avant qu'il y ait eu un Autel, mais le but même de l'Autel - la Croix - c'est l'Eglise. Et c'est ainsi que se fit en nous, avec une clarté et une plénitude toujours croissantes, comme venant du ciel même, 1a révélation de l'Eglise, le Corps de Christ. Ses aspects et ses significations sont variés. Il y a premièrement le fait que l'exaltation et le règne de Christ, ne sont pas simplement des questions personnelles qui Le concernent, Lui seul. Lorsqu'à la fin, Satan et ses armées seront bannis des lieux célestes et rejetés, cela sera accompli par l'Eglise, en union avec Christ, sa Tête souveraine ; et ce sera cette Eglise - la Tête et les membres - qui prendra la place de ce royaume déposé, pour accomplir le dessein gouvernemental qui avait été usurpé par Satan et exercé malignement dans l'univers de Dieu. Le Seigneur Jésus régnera et gouvernera par son Eglise, dans cet âge à venir.

Plusieurs autres choses, comme faisant un tout avec ce vaste dessein, devinrent alors claires pour nous. C'est l'Eglise qui est l'objet premier de l'intérêt du Seigneur dans cette dispensation. Tout, dans Sa pensée et Son activité, est lié à elle. Cela signifie que tout individualisme et toute indépendance, tout ce qui est simplement personnel, divisé ou séparé, ne peut certainement pas atteindre le but tout entier de Dieu, et ne peut recevoir Son sceau, au-delà d'un certain point. Cela devra inévitablement s'arrêter et sera limité spirituellement. Toutes les ressources divines ont pour objet la formation et le perfectionnement du Corps, et les individualités ne peuvent arriver à la plénitude que d'une manière relative. Cela étant vrai, d'autres choses doivent en découler.

L'Eglise doit être sur une base céleste, et non terrestre. Une base terrestre amènera toujours des contradictions de quelque sorte. Tout ce qui, sur une base terrestre, est quelque chose, par sa position, ses intérêts, ses relations ou son titre, et qui distingue les enfants de Dieu, est une contradiction à l’Eglise, le Corps de Christ. Aucune de ces choses n'a de place dans les lieux célestes, et leur existence ici-bas signifie faiblesse spirituelle en présence des puissances spirituelles du mal, qui sont dans les lieux célestes. Il nous fut ainsi révélé, avec une clarté croissante, que notre position actuelle sur la terre était dans une certaine contradiction avec notre position spirituelle dans les lieux célestes. Le moment arriva où il nous fallut expliquer notre expérience aux "autorités qui existent", et l'issue se précipita. Il n'y avait aucune porte ouverte, qui permît à nos corps de suivre la voie où étaient déjà entrés nos esprits. Tandis que, d'un côté, ce fut un chemin de vie, vers l'élargissement et une plénitude parfaite, ce fut, d'un autre côté, un chemin qui coûta. Incompréhension, fausse interprétation, faux jugements, ostracisme, "mauvaise réputation", s'élevèrent de toutes parts. De nombreuses portes se fermèrent, et nous perdîmes beaucoup d'amis. C'est une histoire douloureuse, et qui n'est pas encore terminée. Mais il y a eu, au cours des années, un autre côté de bénédictions et de valeurs spirituelles pour une grande compagnie, dont il ne nous appartient pas de parler. C'est dans les cieux qu'elles sont inscrites.

Revenons au développement spirituel. Avec la révélation double de la Croix et de l'Eglise, et par sa puissance et son effet spirituels correspondants, une quantité de choses regardées jadis comme essentielles ou importantes, tombèrent tout simplement comme n'ayant plus aucune valeur. Il devint facile d'ajuster beaucoup de choses et de faire des transformations, qui auraient autrefois soulevé de graves questions et rencontré un refus. Nous découvrîmes que la Croix, rendue efficace intérieurement, et une acceptation vivante de la Souveraineté suprême de Christ, jointes à la conception divine de Eglise, le Corps, rendaient toutes choses possibles. C'est la révélation qui avait accompli en Paul ce que rien, en dehors du Ciel, n'aurait pu effectuer, son émancipation du judaïsme. Ce que nous sommes arrivés à voir, c'est que les pensées, et les intentions, et les voies véritables de Dieu ne peuvent être saisies que par les croyants réellement crucifiés et ressuscités. II est de peu d'utilité de présenter les choses divines à des croyants qui n'ont pas expérimenté la crucifixion ; c'est pourquoi il faut prêcher la Croix, même à des chrétiens non crucifiés. Pour nous, c'est ce que nous eûmes à faire durant trois bonnes années, avant de voir des signes réels d'un mouvement spirituel, mais lorsque la Croix fut comprise et acceptée, les changements furent étonnants.

Avec la révélation de l'Eglise, le Corps, une chose devint très réelle pour nous. C'est la nature corporative de toutes choses, la vie, le travail, le ministère, l'expérience, la communion. Il n'y a rien de purement personnel, rien d'isolé, rien d’indépendant. Le Corps vit et se meut comme un ensemble, et une action indépendante est un désordre.

Il en est dans le Corps de Christ comme dans le corps humain. Cette conscience et ce fonctionnement du Corps ont été un grand gain et ont signifié un grand accroissement spirituel. Cette vérité agit de bien des manières, mais nous avons traité ce sujet assez complètement dans "La Dispensation du Mystère", volume 2 (qui n'a pas encore paru en français). Les années ont passé et, tandis que nous avons fait beaucoup d'expériences profondes sous l’action toujours nouvelle du Seigneur, nous pensons pouvoir terminer cet exposé en rappelant deux d'entre elles.

Il y a eu une révélation toujours grandissante de la plénitude de Christ. Quelle portée et quelle richesse sont embrassées dans cette courte affirmation de Paul : "Réunir toutes choses en Christ." Ephésiens 1,10. "Toutes choses en Christ !" Et puis, ajoutons à celle-là cette autre affirmation importante : "Tête suprême (sur toutes choses) de l’Eglise, qui est son corps, la plénitude de Celui qui remplit tout en tous." Ephésiens 1,23. Il faudra toute l'éternité pour révéler tout ce qu'il y a en cela. Mais le Seigneur a dans Son cœur la volonté de le réaliser dès maintenant dans les membres de Son Corps, d'une manière aussi complète que possible. C’est cela, la passion et le travail de Paul, et c'est devenu notre travail et notre passion. "Avertissant tout homme et instruisant tout homme en toute sagesse, afin que nous présentions tout homme parfait en Christ." Colossiens 1,28.

Nous avons un lourd fardeau pour le peuple du Seigneur, et ce fardeau pèse sans cesse sur nous. Ce témoignage est écrit avec l'espoir que ce fardeau sera partagé plus largement.

Le Vainqueur

Il est d'une importance énorme pour le Seigneur, aussi bien que pour Son peuple, que cette plénitude de Christ soit dans l'Eglise, et que l'Eglise soit en elle. Mais il y a tant d'enfants de Dieu qui ne veulent pas accepter Ses voies, ou qui sont liés si fortement par ce qui est de l'homme dans le christianisme, - et c'est sur cela que nous nous arrêterons maintenant, - que le dessein de Dieu est lié en premier lieu aux "vainqueurs", c'est-à-dire à ceux qui veulent accepter toute la signification du Calvaire, et payer le prix, non pas de leur salut, mais d'une fidélité absolue au Seigneur et à toute Sa pensée.

Aussi, non parce que Dieu veut qu'il en soit ainsi ou qu'Il l'ait ainsi déterminé, mais parce que la majorité de Son peuple ne veut pas avancer et qu'il préfère traîner dans le désert, - l'héritage entier appartient "à celui qui vaincra". Pour en revenir aux types, Josué et Caleb furent de toute une génération, les deux seuls hommes qui entrèrent dans le pays pour le posséder. Ils furent, de toute la multitude qui avançait, les seuls héritiers, parmi le peuple de Dieu au désert. Ce n'est pas le salut qui nous est montré comme ayant été perdu, mais l'héritage, le Trône, l'autorité. Josué et Caleb étaient un témoignage de vie, alors que la mort faisait rage autour d'eux ; et le vainqueur, dans l'issue finale, sera cet instrument du témoignage dans lequel toute 1a puissance de la mort aura été vaincue par la foi. Ainsi donc, tandis que notre but est de déclarer le dessein de Dieu, qui est la plénitude pour tout Son peuple, nous savons cependant que tous ne suivront pas, et notre ministère doit s'accomplir en considérant les "Vainqueurs".

Notre tâche est de donner le message né de l'action de Dieu en nous ; le reste appartient à ceux qui le reçoivent. Répétons-le, la Croix de Christ, devenue efficace dans l'être intérieur d'un croyant, rend tout, et toutes choses, possibles. Voulons-nous demander au Seigneur de mettre sur notre cœur le fardeau de Son Eglise, et voulons-nous L'invoquer en sa faveur chaque jour ? Si cela est possible, cherchons à nous unir à quelqu'un pour cette intercession, en nous rappelant la valeur spéciale de la prière corporative. "Si deux d'entre vous..." Que la grâce de Notre Seigneur Jésus-Christ soit avec nous tous !

T. A.S.