Nous reproduisons ci-dessous des articles du journal belge Le Soir concernant l'affaire Dutroux:

Le Soir Page Une Mardi 24 décembre 1996 page 1/17/18

Un chapitre satanique dans l'enquête Dutroux.
Les enquêteurs de Neufchâteau perquisitionnent un temple du Diable.
Et si certaines victimes de Dutroux lui avaient été offertes ?

 Samedi, à la tombée du jour, une cinquantaine de gendarmes et de policiers ont fait irruption dans les locaux de l'ASBL sataniste et luciférienne Abrasax, à Forchies-la-Marche (à deux pas de Jumet). C'est le juge Langlois, de Neufchâteau, qui leur avait délivré mandat de perquisition. Dans le cadre du « dossier 86 » - association de malfaiteurs, enlèvements et séquestrations d'enfants, assassinats - que le juge Connerotte avait ouvert.

 A la demande du parquet de Neufchâteau, plusieurs journalistes avaient tu la nouvelle. Désormais chacun la connaît... et comprend que l'enquête sur Dutroux et ses vieux complices a basculé dans un univers peuplé de pervers, de sadiques et de psychopathes où voleurs et assassins, pédophiles et satanistes se partagent des enfants.

 Les soupçons de Neufchâteau étaient nés avec des témoignages, précis, dont on a déjà parlé dans certains médias, mais qu'on se contentera d'évoquer.

 Ils s'étaient renforcés avec un mot découvert chez Bernard Weinstein qui avait été l'ami et le complice de Dutroux avant que ce dernier ne l'assassine.

 Bernard Weinstein le voleur fréquentait aussi le diable. Le mot - sans date - disait : Bernard n'oublie pas la grande fête qui approche et le cadeau pour la grande prêtresse. Signé « Anubis ».

 Les soupçons s'étaient enfin précisés avec la découverte d'une note, émanant d'un membre de la secte Abrasax, énumérant les dates du calendrier sataniste. Et en leur regard : la liste des victimes promises aux « sacrifices » qui devaient presque toutes être du sexe féminin et âgées d'un à trente ans.

 « Anubis » est connu, chez les amateurs d'ésotérisme belges et européens, comme le grand prêtre et fondateur de l'église du diable Abrasax : Francis Desmet. Sa compagne en religion n'est autre que Dominique Kindermans, alias « Nahéma Nephthys », grande prêtresse de l'Eglise belge de Satan.

 Chez eux, les enquêteurs de Neufchâteau ont saisi des tonnes de matériel et de documents, mais aussi un ordinateur et du courrier. Ils ont encore mis la main sur des crânes humains, des bocaux de sang (animal sans doute) et sur tout un attirail de colifichets diaboliques (robes de cérémonie, crucifix, table de sacrifices, etc.). Mais ils n'ont, jusqu'ici, rien trouvé qui étaye leurs soupçons.

 Anubis et Nahéma Nephthys jurent leurs grands dieux que Weinstein, Dutroux et consorts sont inconnus au bataillon de leurs démons. L'enquête n'a pas (encore ?) démontré le contraire. Il n'est donc pas sûr que les victimes de Dutroux et de ses complices aient été livrées à l'institut Abrasax.

 Mais en fait, qu'importe. Au soir du solstice d'hiver - la plus longue nuit de l'année - en intervenant à Forchies-la-Marche, les enquêteurs de Neufchâteau ont dévoilé le pire de leurs soupçons : les victimes de Dutroux et des autres sont peut-être tombées aux mains de diables encore plus vrais qu'on ne pouvait le craindre.

 ALAIN GUILLAUME


Affaire Dutroux: des victimes sacrifiées sur l'autel du démon ?

 Weinstein fréquentait le diable. Les enquêteurs de Neufchâteau perquisitionnent donc dans une secte satanique qu'ils surveillaient depuis des semaines.

 La cellule d'enquête de Neufchâteau - menée par les juges Langlois et Gérard, ainsi que par le procureur Bourlet - s'intéressait à l'ASBL Abrasax depuis de très nombreuses semaines.

 D'abord parce qu'une série de témoignages précis et concordants évoquent, depuis août, les sévices infligés à de jeunes victimes à l'occasion de cérémonies sataniques ou de messes noires auxquelles pourraient avoir participé divers « acteurs » des dossiers actuellement à l'instruction à Neufchâteau (comme Dutroux et ses complices).

 Ensuite parce qu'au cours des investigations menées par les gendarmes et les péjistes, on a découvert au domicile de Bernard Weinstein (à Jumet), un mot sans date évoquant de telles cérémonies et sans doute l'indispensable présence de victimes qu'il fallait encore trouver.

 Bernard, n'oublie pas de lui rappeller que la grande fête approche, disait le mot d'« Anubis », et songe au cadeau pour la grande prêtresse. Anubis serait-il Francis Desmet, le grand-prêtre d'Abrasax ? Les enquêteurs ne pouvaient qu'y songer.

 Enfin les gendarmes ont encore pu mettre la main (voir ci-contre) sur un document émanant d'un membre de la secte Abrasax et énumérant les cérémonies à venir, les rites à accomplir en l'honneur des démons, et les victimes à leur offrir.

 Le grand prêtre Anubis et la grande prêtresse Nahéma Nephthys jurent leurs grands dieux qu'ils ne connaissent pas Dutroux ou Weinstein et que, bien sûr, les sacrifices humains n'en étaient pas. Et jusqu'ici, on n'a pas démontré le contraire.

 LES DOSSIERS ÉTRANGERS AVAIENT ÉTÉ REFERMÉS

 La perquisition chez Abrasax n'a donc, pour l'heure, livré aucun élément d'information spectaculaire. Des fichiers, de la correspondance, des colifichets ésotériques. La biologiste qui participait aux perquisitions a découvert du sang dans un frigo et sur une couverture. Du sang animal sans doute. L'architecte a décelé le coffre-fort. Vide. De là à penser qu'à l'église de Satan on s'attendait à une visite policière...

 Tout indique cependant qu'au départ d'une enquête sur des enlèvements d'enfants, des séquestrations et des sévices infligés par des pédophiles à de jeunes victimes, les enquêteurs de Neufchâteau ont basculé dans un univers peuplé de pervers, de sadiques et de psychopathes.

 On savait que les « voleurs d'enfants » en abusaient eux-mêmes. On savait que certains d'entre eux fréquentaient les clubs discrets et les soirées au château où la rumeur fait état, depuis si longtemps, de la présence d'enfants. Il faut imaginer, maintenant, qu'il y avait aussi, dans cette nébuleuse où l'on a tué des enfants, un groupe de servants du diable.

 Ces histoires-là, on n'y croyait pas jusqu'ici. Et pourtant, en Allemagne, en France, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, les services de police et les journalistes avaient déjà décelé l'existence de « réseaux satanistes » et imaginé qu'ils s'approvisionnaient en jeunes victimes.

 Toutes ces enquêtes avaient échoué, tous ces dossiers avaient été refermés, étouffés sous le sceau du mot « fantasmes ». A Neufchâteau, une telle enquête vient donc de s'ouvrir dans le sillage de Marc Dutroux et de ses vieux complices. Elle mène aussi vers l'étranger. Est-elle plus solide, cette fois ?

 ALAIN GUILLAUME

A la Saint-Winnibald, s'il y a sacrifice...

 Des témoignages, une lettre, un « bon de commande » : voilà donc les trois raisons pour lesquelles les enquêteurs du juge Langlois ont débarqué, samedi, dans la secte Abrasax.

 Il est encore trop tôt pour qu'on parle des témoignages. Mais la lettre, c'est celle que l'on a retrouvée en août dernier, rue D'Aubresse, où Weinstein résidait.

 Ce n'était qu'un « bout de lettre » incomplet. Son auteur parlait à Weinstein de « la grande prêtresse », et des proches célébrations qu'il fallait préparer.

 Mais un autre document, appartenant à Abrasax, a également été saisi par les enquêteurs et pourrait « compléter » le précédent. Il s'agit en quelque sorte d'un « bon de commande ». L'auteur de ce texte y énumère 18 dates du calendrier sataniste donnant lieu à des cérémonies ou à des réunions. Il y insiste pour qu'on trouve rapidement « huit victimes de 1 à 33 ans ». Toutes - précise encore le document - doivent être féminines, sauf celle du 7 janvier, « date de la Saint-Winnibald où il faut une victime entre 15 et 33 ans s'il y a sacrifice ».

 Pour les sept dates restantes, le « bon de commande » précise que toutes exigent des victimes féminines. Une des cérémonies impose une victime âgée de 1 à 25 ans; d'eux autres réclament des victimes de 1 à 21 ans; les quatre dernières nécessitent des victimes de 7 à 17 ans.

 Les autres cérémonies (à date plus éloignée), précise l'auteur de ce texte, réclament en majorité des victimes de sexe féminin, mais d'âge indéterminé.

 Preuve, s'il en faut, que ce monde évolue aux frontières de la psychopathie, l'auteur du document aux mains des enquêteurs précise encore que deux rituels « requièrent la dislocation des membres et le sacrifice », qu'un autre suppose « la dislocation des membres et la communion par le sang », et que les derniers impliquent « des pratiques sexuelles anales, orales et vaginales».

 Al. G.

Un inventaire à la Prévert ou à la Ghelderode

 Samedi dernier, le 21 décembre, c'était le jour du solstice d'hiver. Un jour de célébration important pour les lucifériens.

 Peu avant 21 h, une cinquantaine de gendarmes et de policiers judiciaires, accompagnés par un architecte (pour trouver d'éventuelles caches), un biologiste (pour identifier d'éventuels poisons), des chiens pisteurs (pour chercher des drogues), ont fait irruption au 223 de la rue Vandervelde, à Forchies-la-Marche, non loin de Jumet.

 Une rue de village, une maison blanche accolée à une station-service, et une plaque vissée au mur : « Institut Abrasax, ASBL. Psychothérapie. Sciences magiques ». Pendant plus de 8 h, gendarmes et policiers y ont tout fouillé : les appartements, les bureaux, le temple...

 Une masse de matériel incroyable a ainsi été saisie. Dans six camions de gendarmerie on a donc mis : la dalle noire du temple luciférien, un frigo et les pots de sang (sans doute animal) qu'il contenait, des crânes humains, des robes de cérémonie, un ordinateur, des listes de membres, du courrier, des cassettes, des objets rituels. Un inventaire à la Prévert... ou plutôt à la Ghelderode.

 Gendarmes et policiers auront besoin de plusieurs jours pour examiner tout cela. Jusqu'ici, ils n'ont cependant rien trouvé d'autre que le bric-à-brac ésotérique qu'on s'attend à trouver dans l'antre d'un quelconque sataniste. C'est en somme ce que leur ont expliqué Dominique Kindermans et Francis Desmet (qui se font respectivement appeler Nahema Nephthys et Anubis par leurs adeptes) aux gendarmes qui les ont interrogés à l'aube.

 Les enquêteurs de Neufchâteau soupçonnaient Abrasax depuis plusieurs semaines. Ils avaient même surveillé l'endroit et, à leur grande surprise, y avaient même vu pénétrer quelques personnalités.

 Quelques journalistes aussi étaient au courant. Le parquet de Neufchâteau leur avait officieusement demandé la discrétion et samedi, il avait officiellement demandé un embargo sur les perquisitions. Dimanche soir, l'embargo a été levé... pour un seul de nos confrères; on a « oublié » les autres.

 Quoi qu'il en soit, Nahema Nephthys et Anubis n'ont pas digéré l'épreuve : il y a deux jours ils ont affiché à la fenêtre de leur temple un message bien terre à terre : Avis à la population ! Suite à la méchanceté et à la bêtise de certaines gens, nous avons été victimes d'une perquisition (...) suite à des informations voulant nous impliquer dans l'affaire Dutroux. Nous sommes victimes de la campagne de délation anonyme qui fait rage en Belgique. Ceci peut vous arriver demain. Sachez que nous ne laisserons pas ceci sans suite. ».

 Al. G.

Le sacrifice d'un enfant : l'ultime souillure

 Pol Gossiaux est anthropologue à l'université de Liège et spécialiste reconnu de la sorcellerie. Il a étudié son évolution, la fascination qu'elle peut exercer, et les excès, phénoménaux, qu'elle peut engendrer auprès de ses adeptes.

 C'est à la fin du XVIIIe siècle que le satanisme est devenu très littéraire; il est extraordinaire de constater à quel point la perception du diable par le peuple s'est différenciée de celle de l'Eglise. Il apparaît bien sûr comme un dieu maléfique, mais dont le recours n'est pas mauvais en soi, et peut-être bénéfique.

 Mais quel intérêt trouve-t-on à « vouer son âme au diable » ?

 Tout désigne en lui le pouvoir. Satan, c'est la volupté, la richesse, la concupiscence. On ne fait pas appel à Dieu pour avoir plus d'argent ou plus de femmes, mais bien à son contraire. Il évoque tout ce qui est de l'ordre du plaisir, tout ce que les gens cachent au tréfonds d'eux.

 Mais « les démonistes » d'aujourd'hui n'ont plus rien à voir avec leurs prédécesseurs ?

 La plupart des gens qui « s'initient » ne savent même plus de quoi il s'agit. Dans les véritables sectes, les membres se déclareraient sorciers ou prêtres. La plupart des cas s'apparentent plutôt à du folklore. Une envie de découvrir un autre monde, plus puissant, plus fort.

 Mais pourquoi, et qui, peut être susceptible d'être attiré par ce genre de pratiques ?

 Tous ceux pour qui une contrevaleur est devenue une valeur, même si elle transgresse tout. Lorsque la société ne garantit plus le bien-être, certains sont conduits au désespoir ou aux sectes. Quant à ceux que l'on retrouve dans ce genre de cérémonies, ils sortent de tous les milieux, sauf peut-être des classes ouvrières. Il y a une élite bien sûr, celle qui possède l'argent, mais également des milieux violents.

 La violence, même sexuelle, est obligatoirement liée aux pratiques démonistes ?

 Le crime ou le sexe ne sont pas nécessairement liés. Mais ils répondent d'un même mécanisme de transgression, la même logique de contre-éthique. Dans les seules messes noires scientifiquement décrites, tout est déjà décrit : la sexualité, le crime, la mise à mort, tout peut se mélanger. Mais l'influence de Léotaxile, auteur de la fin du siècle précédent, fut très importante. Il fait l'amalgame entre les anciens sorciers, la loge maçonnique et l'Eglise. Mais il établit aussi un lien étroit entre sexualité et meurtre, tel que l'on en parle aujourd'hui.

 Le sacrifice humain fait donc partie intégrante de cet amalgame ?

 Quand il s'agit d'une initiation importante, grave, le sacrifice devient fondamental. Les crimes peuvent être odieux, sodomie, pédophilie, zoophilie, l'ultime tabou, l'ultime secret, reste le meurtre. Tuer quelqu'un au sein d'un groupe, c'est obtenir de ses complices la certitude du secret.

 Dans cette optique, le sacrifice d'un enfant revêt encore plus d'importance ?

 Dans la tradition, le diable exige un sacrifice. Le sacrifice d'enfant, en principe non baptisé, est l'offrande la plus grande, puisque le diable reçoit alors un être sur lequel il possède une totale emprise. Il y a aussi, évidemment l'idée d'innocence bafouée. Ajoutez-y des crimes sexuels, et vous obtenez l'ultime offrande. L'ultime souillure.

 OLIVIER VAN VAERENBERGH

Affaire Dutroux: Le Soir (Belgique) Mardi 24 décembre 1996 page 1/17/18

Affaire Dutroux, des faits, rien que des faits

Un pavé dans la figure. Je termine la lecture du pavé d'Anemie Bulté, Douglas De Coninck et Marie-Jeanne Van Heeswyck : "Les dossiers X, ce que la Belgique ne devait pas savoir sur l'affaire Dutroux" (Editions EPO 1999). Passionnant et effarant. Passionnant parce que la remise à plat, l'alignement sec et presque sans commentaires d'autant de faits - et rien que des faits - sur la criminalité pédophile en Belgique mettent de l'ordre dans nos idées et permettent un reclassement et une hiérarchisation des valeurs.

Effarant par l'horreur sans fioriture qui y est décrite et par la conscience que tant de ces faits nous sont arrivés truqués, tronqués, sciemment distillés pour établir une vérité officielle, la seule recevable. On sort de cette lecture KO debout, convaincu du véritable renversement sémantique qui s'est opéré depuis la Marche blanche avec de relecture en relecture des magistrats et enquêteurs fermant ou discréditant toutes les pistes ouvertes par Connerotte (NDLR: le juge chargé à l'origine du dossier Dutroux et qui en a été écarté pour des raisons obscures), dès lors qu'elles quittaient le cercle rapproché de Dutroux.

L'opinion commune échafaudée sur base de "fuites" sélectives voudrait aujourd'hui que l'hypothèse de réseaux pédophiles ne reposât que sur l'imagination, l'émotion, le fantasme ou la pure construction intellectuelle des obsédés du "grand complot".

Renversement dont l'ampleur apparaît au terme de la lecture : en réalité et de toute évidence, c'est pour réfuter l'existence de réseaux pédophiles qu'il faut ou de l'imagination ou une sollicitation intellectuelle très forte, orchestration des faits sur une partition préalable. il faut s'interroger sur les motivations de ceux qui défendent à tout prix - y compris à celui de la distorsion ou la falsification des faits - une vision socialement et politiquement très confortable de l'horreur vécue par trop d'enfants et de familles.
Ce qui est abracadabrant ce n'est pas d'examiner l'hypothèse de réseaux pédophiliques où seraient impliqués des "clients" fortunés et influents mais plutôt de nous présenter clé sur porte un casting de rêve. Le tout mû par un seul ressort dramatique : le hasard et les coïncidences, une masse de coïncidences.

Léon Michaux (Le Matin, 6 novembre 1999)